10 oct. 2007

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APRES LE BAL
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C'est fête à la Présidence,
On y danse.
Que de femmes et de fleurs
Et que de trognes rougies,
De bougies !
On dirait la Chandeleur.

Voici la magistrature,
Turelure,
L'édilité... le gratin
De ces messieurs diplomates,
Turcs, Sarmates...
Les grands seigneurs du Bottin...

Ceux du Sénat et les membres
De la Chambre...
Puis le bataillon doré
Des barons qui boursicottent
Et tripotent
Du Faubourg Saint-Honoré.

A côté de Protocole
- Vraie idole
En costume officiel -
Couvert de plus de médailles,
De ferrailles,
Qu'il n'est d'étoiles au ciel,

Loubet parait terne et neutre
Sous son feutre
Et demeure inaperçu ;
Auprès de ce pauvre drille
Waldeck brille ;
Deschanel semble cossu.


Millerand a l'air moins rustre
Sous le lustre,
Fallières n'est point commun ;
Que dis-je ? Voire, il n'est jusque
A l'étrusque
Moins qu'on prétend pour quelqu'un...

Et la somptueuse fête
Se répête
Sur le parquet, clair miroir,
Avec toute cette foule
Qui déboule,
Qui déboule pour les voir.

Mais la fête serait blême
Tout de même
Et triste comme un tunnel
Sans quelques guerriers qui causent,
Se dépensent
Par ordre du colonel ;

Cependant que nos édiles
A la file
D'un appêtit jamais las
Au quatre buffets se gorgent
Et s'égorgent
De nougats, de cervelats...

Après cinq heures d'horloge
On déloge ;
Les sandwitches sont sortis ;
Il ne reste plus personne,
Le jour sonne,
Les violons sont partis.

Cache-toi dans cette armoire
Toute noire
Loubet va venir ici
Cuver dans la solitude
Sa nuit rude...
Tiens, justement le voici.

Il parle tout bas, écoute !
Goutte à goutte
Il laisse tomber ces mots :
" Ils se sont payés ma poire !
- On veut les croire -
Ah ! les chameaux, les chamaux !

" Si j'avais l'omnipotence
Cré potence !
D'un grand mogol ou d'un tsar,
Au lieu d'être en quelque sorte
Lettre morte,
Un vrai César de bazar ;


" Comme avec grand' diligence,
Cette engeance,
Je la ferais fusiller !...
Tous ces cuistres
Qui parlent de m'empailler !

" D'abord ce traîneur de sabre
Si macabre...
Et ce petit Deschanel ?...
En fait-il, de la poussière,
Des manières,
Depuis qu'il est immortel !

" Et ce Waldeck exécrable
Qui m'accable,
N'ai-je pas lu dans son oeil
Pendant cette nuit blafarde,
Qu'il lui tarde
De s'asseoir sur mon fauteuil ?

" Ah ! bien oui, ce fils d'hyène,
Qu'il y vienne !
Il peut bien dire bonsoir
A tout repos sur la terre,
Au contraire,
S'il n'a que ça pour s'asseoir... "



RAOUL PONCHON
le Journal
5 fév. 1900



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