10 oct. 2007

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LA FORET DE FONTAINEBLEAU
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Futurs Corots, jeunes rapins,
Faiseurs de chênes en sapin,
Ardents paysagistes
De Marlotte et de Barbizon,
Coupez vos barbes de bison,
Votre heure est des plus tristes.

Oh ! oui, qu'elle est triste ! En effet,
Encore un coup, et c'en est fait
De cette forêt vôtre.
- On en parle dans les papiers -
A moins que l'un de vous aux pieds
De Loubet ne se vautre.

Quoi qu'il en soit, de gros messieurs,
Des feignants, quoi... des paresseux
Qui travaillent dans l'ombre,
Ont décidé d'avoir la peau
De celle de Fontainebleau.
Des bûcherons sans nombre

Bientôt à l'oeuvre se mettront,
Et bûcheras- tu bûcheront,
Une vraie hécatombe !
Qu'importe tous vos beaux discours ?
Déjà le pauvre Dennecourt
En frémit dans sa tombe.

Vous voyez d'ici le tableau :
La forêt de fontainebleau
N'est plus qu'un morne steppe,
Qu'un désert plat comme un chemin.
Jeunes gens, à votre appuie-main
Il vous faut mettre un crêpe.


Adieu vos hêtres et vos ifs,
Vos coins préférés, vos motifs,
Vos bouleaux et vos chênes.
Et si vous voulez voir du vert...
Il en reste sur un pivert
Dans la forêt prochaine.

Les voilà tous estropiés
Vos oegypans ; vos chêvrepieds
Tombent par myriades.
Bientôt vous chercherez en vain
Vos dryades et vos sylvains
Et vos hamadryades.

Ce n'est pas tout ! car nous verrons,
Lorsque ces âpres bûcherons
Auront fait leur office,
De furieux ingénieurs,
D'implacables entrepreneurs
Qui entreront en lice.

Ces diables sortis de l'enfer
Construiront un chemin de fer
En quelques heures brêves.
Et ce chemin de fer flambard
Traversera de part en part
La forêt de vos rêves.

Des trains, à toute heure investis,
Trimballeront des abrutis,
Des espèces humaines,
De celles-là qui n'aiment pas
Se fatiguer, user leurs pas
En promenades vaines.

Et si plus tard, comme autre fois,
A courir les nymphes des bois,
Quelqu'un de vous s'égare,
Il ne trouvera, j'en ai peur,
Avec qui rire, qu'un chauffeur
Ou bien un chef de gare.


RAOUL PONCHON

le Journal
21 juillet 1902



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