11 oct. 2007

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Le Roi MILAN
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Il était un roi d'Yvetot
Plus connu dans l'histoire
Pour être un pilier de tripot
Qu'un amateur de gloire.
Sa couronne était un chapeau,
Sa main de justice un râteau.
Oh ! oh !
Il régnait sur le baccarat.
Ah ! ah !

Il avait un goût malheureux
Pour ce jeu plein d'embûches,
Car toujours le sort rigoureux
Lui réservait des bûches.
Beau joueur, d'ailleurs, il savait
Qu'au jeu l'on ne gagne jamais,
Jamais.
A moins d'être un grand scélérat,
Voilà !

Ce roi comme on en voit des tas
Sous notre latitude,
Veillait de loin sur ses Etats
Avec sollicitude.
Il était toujours à Paris,
Pays des amours, des houris,
Des ris,
Mi-bookmaker et tout rasta.
Ah ! le bon roi que c'était là !
Ah ! ah !

Quand il n'avait plus un patard
Pour mener la grand'vie,
Il allait taper sans retard
Ses peuples de Serbie.
Les pauvres ! y gagnaient encor
Pourvu qu'il dépensât dehors
Leur or !
Heureux quand il n'était pas là.
Ah ! ah !


Parfois, fronçant ses gros sourcils,
Et sans plus crier gare,
Il tombait à bras raccourcis
Sur son voisin Bulgare.
Mais s'il fut toujours repoussé,
Il n'eut jamais rien de cassé :
On sait
Qu'il est un dieu pour ces rois-là,
Ah ! ah !

Un jour, il épousa (mais, quoi ?)
L'âme soeur de son âme.
Est-ce la peine d'être roi
Pour n'avoir qu'une femme ?
Aussi la répudia-t-il ;
Ce fut pour elle après l'Avril,
L'exil.
Le bon mari que c'était là !
Ah ! ah !

Il en eut pourtant un enfant
- Cela se fait si vite -
Beau magnifique et triomphant
Et rempli de mérite.
Aussitôt fait, il le sema...
Puis à son affreux baccarat
Ralla...
Le beau joueur que c'était la !
Ah ! ah !

Plus tard, las de régner - dit-on -
Ce héros de plutarque
Passa la main à son fiston,
Il en fit à son monarque ;
Non par fatigue ou par ennui,
Mais pour conspirer contre lui !
Oui, oui.
Le bon papa que c'était là !
Ah ! ah !

Las ! le sort lui fut si fatal,
Qu'à la fin, sans esclandre,
Il s'en vint au Palais-Royal
Je ne sais trop quoi vendre.
C'est là qu'il est mort ces jours-ci,
Dieu fasse à son gros sans-souci
merci !
priez, gros Milan, ô mon Roi !
Pour moi.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
17 fév. 1901



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Le roi d'Yvetot
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Mai 1813
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Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire ;
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n'avait rien
Qu'un chien.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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Il n'avait de goût onéreux
Qu'une soif un peu vive ;
Mais en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.
Lui-même, à table et sans suppôt,
Sur chaque muid levait un pot
D'impôt.
Oh ! oh !oh !oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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Aux filles de bonnes maisons
Comme il avait su plaire,
Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur père
D'ailleurs il ne levait de ban
Que pour tirer quatre fois l'an
Au blanc.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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Il n'agrandit point ses états,
Fut un voisin commode,
Et, modèle des potentats,
Prit le plaisir pour code.
Ce n'est que lorsqu'il expira
Que le peuple qui l'enterra Pleura.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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On conserve encor le portrait
De ce digne et bon prince ;
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province.
Les jours de fête, bien souvent,
La foule s'écrie en buvant Devant :
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.

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