10 oct. 2007

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LA MOUSTACHE DE L'EMPEREUR
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Etait-elle châtaine ou blonde
La moustache de l'Empereur ?
Ou brune ? Question profonde
Que l'on se pose avec fureur ;

L'un la dit rousse, sinon noire,
L'autre entre le zist et le zest.
Mais voilà : lequel faut-il croire ?
Adhuc sub judice lis est.

Je veux donc, à mon tour, à cette
Passionnante question
Apporter, en cette gazette,
Mon humble contribution.

*
* *

Pendant l'impérial bastringue
Qui dura quelques beaux vingt ans,
J'ai vu, moi, ce pauvre Badingue
- On dirait ainsi de mon temps. -

C'était un peu devant la guerre,
Avant le grand coup de balai. -
" Cela ne nous rajeunit guère ",
Comme disait Alphonse Allais.

Sans remonter au moyen-âge,
Sachez que vers soixante-neuf
Je pouvais porter témoignage,
Je n'étais déjà plus tout neuf.

L'Empereur dans ses Tuileries
Faisait, lamentable et falot,
Prendre l'air à ses rêveries,
Sur la terrasse au bord de l'eau.


- Je dois dire que les dernières
Elections avaient été
En quelque sorte rancunières
Et rudes pour sa Majesté. -

Il mâchonnait son éternelle
Cigarette, se doutant bien
Qu'on venait de casser une aile
A l'aigle napoléonien.

Quand tout à coup, musique en tête,
Vint à passer un régiment,
Marchant sur un air d'opérette
Qui faisait rage à ce moment.

Une foule ardente, pressée
Suivait. Et je fus par hasard,
Sous une dernière poussée
Jeté tout auprès de César.

Eh parbleu ! je le vois encore,
Un frémissement dans la peau,
devant le drapeau tricolore,
Lever gravement son chapeau.

Hélas ! les soldats étaient rares
Qui le saluaient en passant ;
Tandis que les pékins barbares
Allaient, sous son nez rugissant

L'impitoyable Marseillaise.
Or, affreusement il pâlit,
Et s'affala sur une chaise,
Songeant : mon destin s'accomplit !

Puis, quand la foule satisfaite
Fut passée, et le régiment,
Il prit une autre cigarette
Qu'il fuma furieusement.

Ce jour-là, sur son masque inerte,
Son triste masque d'empereur,
Pendait une moustache verte,
Verte, vous dis-je, - sauf erreur.




RAOUL PONCHON
le Journal
7 janv. 1907




Badingue; Badinguet : surnom donné à Napoléon III Du sobriquet de Badinguet ou Badingue qui lui fut donné dès les premières années de l'Empire. Badinguet était, paraît-il le maçon sous la blouse duquel le prince avait fui sa prison de Ham
citation d'Horace : Grammatici certant et adhuc sub judice lis est, les grammairiens discutent, et pourtant le procès n'est pas fini (littéralement : est encore devant le juge).

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