11 oct. 2007

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LE COCHON RECLAME

Première représentation le 7 février 1910 de " Chantecler ".
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à Jean Rostand.


O cher maître, cent fois élu,
Contempteur de la prose,
Comme vous n'avez pas voulu
De moi, le cochon rose,

Ne m'estimant pas un acteur
Digne de vos estrades,
Je fus, en tant que spectateur,
Ouïr mes camarades.

Pour cela je me suis pourvu
D'une bonne baignoire
D'où j'ai pu voir sans être vu,
Plongé dans la nuit noire.

Comme je m'en étais douté,
Je tiens à vous le dire,
Toutes vos bêtes ont été
Dignes de votre lyre.

Chantecler nous a claironné
Des strophes remarquables.
Pour moi, je demeure étonné
De ses moindres vocables.

Et je pourrais en dire autant
De la poule faisane.
Or, je n'en espérais pas tant
De cette paysanne.


Le merle eut de l'esprit. Le chien,
Que partout on renomme
Pour sa bonté, montra combien
Il était un brave homme.

Les vils crapauds, en leurs refrains,
Ont, de leur voix dolente,
Bavé sur leurs contemporains,
Mais de sorte excellente.

Les lapins, quand ce fut leur tour
De faire leur partie,
Ont fort bien joué du tambour,
A l'ombre des orties.

J'ai prisé le chant respectif
De l'oie et de la dinde,
Et goûté ce diminutif
De moi, le cochon d'Inde.

Et j'ai fort admiré le paon ;
Il joua, le bellâtre,
Comme s'il eût, ce sacripant,
Toujours fait du théatre.

Enfin chacun fut éloquent
Et de verve parfaite ;
Il n'est jusqu'à la taupe... Quant
A moi, je le répète,

Je méritais d'être un peu là,
Je le dis sans bravade,
Ne fût-ce qu'au thé de gala
De la môme pintade.


Je n'ai pas la prétention,
Comme le coq, de croire
Que je hâte l'éclosion
Du soleil péremptoire,

Encore, je n'en sais trop rien...
Mais, vous avez beau rire,
J'en sais aussi long que le chien,
Et ça n'est pas peu dire !

Oui, je me suis bien regretté
A ce thé poétique ;
Tout comme un autre, j'eusse été
Eperdument lyrique !



RAOUL PONCHON
le Journal
14 fév. 1910


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