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LA DERNIERE GREVE
A ce propos de grève,
Je me souviens d'un rêve
Que je fis autrefois.
Il fut court et rapide,
Mais tellement limpide
Qu'encore je le vois.
Dans une plaine immense
Jusques à la démence,
Toute l'Humanité
Se trouvait réunie.
Pense, ô Muse, ma mie,
Si c'était fréquenté.
Oui . Tous les peuples - dis-je -
Pour un commun litige,
Etaient rassemblés là ;
Les blancs, les noirs, les jaunes,
Aussi toutes les fauves
Que l'Arche recèla.
Oubliant leurs querelles
D'ailleurs bien naturelles,
En leurs temps folichons,
Ces messieurs qui, la veille,
Se mangeaient, ô merveille,
S'aimaient comme des cochons.
Moi-même, pauvre bigre,
Je caressais un tigre,
Je m'en mémore encor.
Aujourd'hui, qu'on me piste,
Dieu sait si je suis triste
Comme le son du cor !
Voici, venant du diable,
Qu'une voix formidable
S'éleva tout à coup,
Non encore entendue
Et qui, dans l'étendue,
S'entendit de partout :
" Puisque Dieu - disait-elle -
Ne nous tient en tutelle
Que pour toujours souffrir
Et sans aucune trêve,
Mettons-nous tous en grève,
Et laissons-nous périr. "
Alors dans cette foule
Il se fit une boule,
Comme d'un océan,
Après une tempête
Où l'onde se répète,
Mais en s'atténuant.
Car tous, hommes et bêtes,
Les brutes, les esthètes...
Sans peur et sans remords,
Sur le sol nous nous mîmes,
Et puis nous endormîmes,
Jusqu'â devenir morts.
Et cette immense plaine,
Tout à l'heure si pleine
De la vie et de santé,
Sans plus de turbulence
Rentra dans le silence
Et l'immobilité.
Ensuite, et puis ensuite,
Quelle fut la faillite
De ce rêve bistord ?...
Je n'en saurais écrire,
Puisque, ça va sans dire _
Je me réveillai mort.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
24 mai 1906
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