13 oct. 2007

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Je ne parle pas du merle
Devant lequel ces jours-ci
Toute une foule déferle,
Et dont je n'ai point souci .

C'est un nègre blanc, sans doute,
Un merle albinos, parbleu
Qui tout d'abord vous déroute
Comme ferait un lys bleu.

Je parle de ce merle autre
Beaucoup plus merle et plus blanc,
Le Pape ! ce saint apôtre
Est, à coup sûr, plus troublant.

Il est blanc comme son âme
Est blanche, blanc comme un lys
Blanc comme un épithalame,
Comme l'O Salutaris.

Un merle blanc c'est beau, certe,
Quand tous les merles sont noirs.
Il étonne, déconcerte ;
Il nous vient de quels terroirs ?


Mais ce merle magnifique
Et blanc, pour rare qu'il soit,
N'est peut-être pas unique?
Qui sait si dans quelque endroit

Il n'en est pas un deuxième,
Un troisième, et cent aussi.
Tandis ce merle suprême
Léon Treize, Dieu merci !

Est le seul de son espèce.
Et cet oiseau précieux
Vit dans une cage épaisse.
Oui. Tandis que ces messieurs

Les empereurs sont des foules.
Que les princes et les rois
Pullulent comme des moules,
Comme les feuilles des bois ;

Le Pape, ce blanc poème,
Est unique au monde. Crois
Que le seigneur Dieu, lui-même
Est moins unique, étant trois.

Et cet être solitaire
Sur les rois prévaut, autant
Que le ciel fait sur la terre,
Bien que vieux et tramblotant.

Car son royaume est céleste
Et nulle part ne finit.
C'est de Dieu qu'il tient le geste
Qui pardonne et qui bénit.


Si son corps au blanc plumage
Est prisonnier des pervers,
Son admirable ramage
S'entend dans tout l'univers.

Il n'est pas à tous sensible.
Il l'est à moi, pas à toi...
Il ne demeure visible
Que pour les yeux de la Foi.

Eh bien ! voyez ce miracle :
Le Moyen-Age pantois
Eut cet étrange spectacle
De deux papes à la fois.

L'un pontifiait dans Rome
Et l'autre dans Avignon.
Il fallait voir aussi comme
Ils se crêpaient le chignon.

L'un des deux, je conjecture,
Etait seul estampillé,
Reconnu par la nature,
Et l'autre était maquillé.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
14 déc. 1902




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