12 oct. 2007

.
.
.
JOLI MOIS DE MAI
.
.
Dites-moi, messieurs, qu'ès aco ?
- Mais, c'est le joli mois de mai,
Amoureux, tiède et parfumé.
- Il est frais, l'coco ! -

Un mot encore : Pourquoi faire
Cette eau qui tombe tout le temps ?
- Tiens, pardine, la belle affaire,
C'est pour arroser le printemps.

- J'admets cela, mais à cette heure
Il est bougrement arrosé,
Depuis deux mois que le ciel pleure
Comme un vrai veau, c'est insensé.

- Vous avez raison ; je présume
Que Chose... Machin... le bon Dieu
Veut faire pousser la légume
Que l'on met dans le pot-au-feu.

- Me prenez-vous donc pour un Serbe ?
Il faut de l'eau, pas trop n'en faut ;
Vous connaissez le vieux proverbe :
" L'excès en tout est un défaut. "

- Mais s'il ne pleuvait pas à verse,
Qui mettrait de l'eau dans la mer ?
Et les grands bateaux de commerce
Seraient-ils pas jambes en l'air ?


- Ah bien ! vraiment, je vous engage
A me parler de vos bateaux !
Chacun sait bien qu'ils font naufrage
Rien que pour aller à Bordeaux.

- Il pleut. C'est peut-être pour boire ?
- Allons donc ! à d'autres que moi ;
Jamais vous ne me ferez croire
Que l'eau c'est chose qui se boit.

- Que voulez-vous que je vous dise,
Il pleut donc pour pleuvoir ;
Tant pis si cela vous défrise,
Vous n'êtes pas né pour savoir.


- Non, non. Par ma propre fressure !
Nous ne saurions nous accorder ;
Dieu fait pleuvoir, je vous assure,
Uniquement pour m'emmerder.

Avouez que c'est un grand lâche,
'(Je ne le dis pas aujourd'hui)
Car il me mouille sans relâche
Et je ne puis rien contre lui.

Si, plutôt que cette lavasse
Il nous versait quelque vin clair,
J'admettrais que je me mouillasse ;
J'aurais toujours la gueule en l'air.

- Plaignez-vous donc, Stupide engeance !
Vous êtes ingrat comme tout ;
Avec ça que la Providence
N'a pas mis des troquets partout ?


Dites-moi, messieurs, qu'ès aco ?
- Mais, c'est le joli mois de mai,
Amoureux, tiède et parfumé.
- Il est frais, l'coco !


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
5 juin 1887



Aucun commentaire: