27 oct. 2007

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L'EPI DE BLE
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Comme j’errais au hasard
Au fin fond de l’Armorique,
J’aperçus un campagnard
Qui d’un air mélancolique
Regardait son champ de blé
D’herbes folles constellé.
De fait, il était bien maigre
Son pauvre blé, bien flapi,
Malgré le bon soleil qui
Le travaillait comme un nègre.

Je m’approchai doucement
Du bonhomme : « Évidemment,
Murmurai-je, les javelles
Ne s’annoncent pas très belles,
Mais avec un tel Avril !…
- Ah ! cher monsieur, me dit-il,
Quand le bon Dieu se révolte,
Quand je pense au temps jadis,
Qu’une seule en valait dix.
L’épi, dans le Finistère,
Commençait à ras de terre ;
Je vous le dis sans mystère.
- Oh ! oh ! n’exagérons point !

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- Non, parbleu ! Dieu m’est témoin.
Le blé n’est pas si veule.
Il n’y avait pas d’éteule.
L’épi poussait tout d’un vol,
Je maintiens, au ras du sol,
Aussi haut qu’un tournesol.
Un seul fournissait des vivres,
Rendait un pain de trois livres :
J’ai lu cela dans les livres.
S’il a dégénéré tant
C’est à cause d’une histoire
Assez digne de mémoire
Qui s’est passée en le temps…


« Un jour, une jeune femme
Passait près d’un champ de blé
Avec son enfant. Et, dame,
Ce sale petit salé
Désira poser culottes
Et fit ce que vous pensez.
Quand il eut crotté ses crottes
Il fallut bien le torcher.
Or le blé était en herbe.
Elle, d’un geste superbe
En prit une livre ou deux
Pour essuyer son merdeux.



« Le Seigneur, qui d’aventure
Avait vu sa créature,
Fronça d’abord le sourcil :
« Crois-tu par hasard, dit-il,
Que j’ai mis le blé sur terre
A l’usage des derrières ?
Va, femme. Pour te punir,
Jusqu’au dernier avenir
Je veux que le blé ne pousse
Pas plus haut que n’est ton pouce. »

« Ainsi parla le bon Dieu.

« Voilà, pourquoi, cher monsieur,
A partir de cette époque
Le blé n’est plus qu’une loque. »


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français - 27 juillet 1902

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