8 oct. 2007

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Que d’eau, que d’eau !
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Soit Bordelaises, Bourguignonnes,
Champenoises ou Roussillonnes,
Qu’elles viennent du Languedoc
Ou du Médoc

Les nouvelles sont des plus dignes
Qui nous rassurent sur nos vignes,
En cette époque de goujats
C’est toujours ça.

Nous jouirons donc cette année
D’une péremptoire vinée,
Aussi bien comme qualité
Que quantité.

Déjà la récolte dépasse
Celle des plus beaux ans de grâce
Où le vin du pays chrétien
Etait pour rien.

Pourtant, on m’en dit une bonne :
Le propriétaire ronchonne ;
Où va-t-il mettre tout ce vin ?
Il cherche en vain.

Les caves sont, dans la Gironde,
Trop petites pour tout ce monde…
Et l’on a du vin dans l’Hérault
Quinze fois trop.

Avec ça, pour comble de guigne,
Que le consommateur barguigne !
On ne trouve plus d’acquéreur :
Dieu, quelle horreur !


Va-t-on, pour complaire à la bière,
Jeter ce vin dans la rivière ?
Ou plutôt en faire cadeau
Aux buveurs d’eau,

Pour les punir du temps notoire
Qu’ils perdirent à n’en pas boire ?...
Non, non, laissons ces malheureux
Vomir entre’ eux.

Ils sont, indignes fils de France
Assez tordus dans la souffrance.
Mais conspuons les médecins,
Ces assassins.

Ces derniers sont les vrais coupables :
Ils abusent des pauvres diables
Dont ils transforment l’estomac
En un vrai lac.

Savent-ils pas que l’eau charrie
Mille et une saloperies,
Peste, typhus et choléra,
Et cœtera ?...

Que depuis que le monde est monde
L’eau, c’est le dépotoir immonde
Des microbes décimateurs
Chers à Pasteur ?

Tandis que le Vin, au contraire,
Est, à n’en pas douter, le frère
Du Sang ? – Tenez, je fais un rot
Dessus votre eau…

Condamner le Vin ! misérables !
Ordonnancer l’eau ! détestables !
C’est vouloir nous assassiner,
Nous ruiner


D’abord. Ah ! Seigneur ! quand je pense
Que sur la formelle défense
De ces ignobles médecins,
Des êtres sains

Renoncent avec complaisance
Aux tant jolis vins de la France,
Au lieu d’y dorloter leur cœur
Et leur vigueur ;

Et qu’ils vont aux rives lointaines
Dessécher les pires fontaines !...
Bien sûr, leur raison fait dodo :
Que d’eau ! que d’eau !


RAOUL PONCHON
le Courrier français
23 sept. 1900


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