10 oct. 2007

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ON NE PEUT CONTENTER TOUT LE MONDE
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(CONTE POUR LES JOURS DE PLUIES)


Les habitants d'une commune
D'un département de la Lune,
Pour ne la nommer autrement,
Etaient dans la pire détresse,
A cause de la sécheresse
Qui sévissait terriblement.

Or, un beau matin, tous allèrent
Chez le recteur. Ils s'avisèrent
Qu'il était homme de savoir
En même temps que fort bon prêtre ;
Et, certes, il devait connaître
Un moyen pour faire pleuvoir.

Celui-ci, rempli de malice,
Leur dit sans aucun artifice :
" - Mes enfants, vous avez bien fait
De venir. Dans mon bréviaire
Je sais une belle prière
Pour les cas majeurs, en effet.

" Mais un grand souci me tracasse :
Bien qu'elle soit fort efficace,
Ma prière, faut-il encor,
Avant que d'en faire l'épreuve,
Sur le jour qu'il convient qu'il pleuve
Que vous soyez tous d'accord.

" Voyons... Parlez de sorte franche.
Nous sommes aujourd'hui dimanche...
Voulez-vous qu'il pleuve demain ? "
- Non, pas lundi, dit quelqu'un, diantre !
Il faut que ce jour-là je rentre
Mes foins. - " Alors, après-demain ?

- Mardi ! vous n'y pensez pas ! voire,
Dit un autre - c'est un jour de foire. -
" Allons bon ! et bien mercredi ?... "
- Parbleu, non ! Je fais ma lessive,
Dit une commère agressive,
Et j'en ai pour l'après-midi. -
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" Jeudi donc, est-ce que ça colle , "
- Plus souvent ! on n'a pas d'école,
Jeudi, clamèrent les enfants. -
" Et vendredi , " - Non, c'est la fête
Du pays - dit une fillette. -
Faites pleuvoir les jours suivants. -

C'est ainsi que chacun, chacune,
De cette bizarre commune
Parlait pour sa propre maison ;
Si bien que, pris d'impatience,
Le recteur leva la séance :
" Allez gens de peu de raison,

" Allez ailleurs vous faire pendre,
Ou bien tâchez de vous entendre,
Et puis vous reviendrez me voir.
En attendant, pauvres mazettes,
Que vous soyez, tant que vous êtes,
D'accord du jour qu'il doit pleuvoir,

" Si le soleil vous importune,
Faites bon coeur contre fortune,
Comme fait le Parisien ;
Sa sagesse est à toute épreuve,
Il attend couramment qu'il pleuve,
Et quand il pleut, il le voit bien. "



RAOUL PONCHON
le Journal
12 juillet 1909

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