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DISCOURS A LA ROSIERE
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L’année 1887 vit l’Elysée-Montmartre* , 72 boulevard Rochechouart, s’ouvrir, pour la première fois, aux fameux bals du Courrier français. Ces amusantes manifestations chorégraphiques et carnavalesques devaient se poursuivre jusqu’en 1896, et l’on compte parmi les plus réussis : le Bal des Bébés, le Bal de la Condamnation, le Bal Mystique et le Bal des Femmes. Le couronnement de la Rosière de Montmartre les inaugura. Raoul Ponchon, maire occasionnel de la Butte, célébra en vers la rougissante élue :
C’est un devoir bien doux pour moi, Mademoiselle,
D’affirmer devant tous que vous êtes… bien telle
Que l’on vous annonça ; que vous l’avez encor
… Votre fleur d’innocence aux étamines d’or,
Et je suis fier de ce qu’une fête éphémère
Pour cette circonstance unique m’ait fait maire.
- Je m’étais demandé souvent : A quoi sers-tu ?
O maire ! Eh bien ! Mais c’est à fêter la vertu.
Je demande, Messieurs, toute votre indulgence,
Car je n’ai, de ma vie, harangué l’innocence ;
Et les plus chastes mots du monde, en vérité,
Ne sauraient dire un tel vase de pureté.
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En vous apercevant sus ce costume insigne
J’ai reconnu d’abord que vous étiez un cygne :
Cygne dont je voudrais être le Lohengrin,
Ce Lohengrin qui fit à l’Eden tant de train.
En vous voyant si blanche et si pure, nous crûmes
A quelque merle blanc, à quelque lis à plumes :
Il est bien évident que si vous le vouliez,
N’est-ce pas, fleur-oiseau, vous vous envoleriez ?
Certes, d’autres pays ont aussi leurs rosières,
- Nanterre, Etrépagny, Clermont-Ferrand, Asnières -
Mais il y a rosière et rosière, pardi
Qui durent à peu près ce que dure un mardi ;
De ces rosières-là, l’on sait ce qu’en vaut l’aune :
On les donne pour rien à Saint-Ouen l’Aumône.
Pourtant, vous en avez plein Montmartre, Messieurs,
J’en vois même ici qui me crèvent les yeux.
Parmi tant de vertus et pour le choix à faire
Allez, ce ne fut pas une petite affaire ;
Car au premier appel qu’on lut dans le journal
Il en vint de partout et même de Laval.
Mais comme il importait qu’elle fût de Montmartre,
On vous choisit, le reste alla se faire… à Chartre.
Maintenant que l’on sait sur quel bon capital
Mademoiselle, vous vous tenez à cheval,
D’un tas de proportionnés vous allez être en butte :
Ca n’est pas ce qui manque, on le sait sur la Butte.
L’un vous proposera de vous flanquer des paings,
L’autre de vous poser simplement des lapins ;
Des individus bruns qui parlent plusieurs langues
Viendront vous assaillir de squameuses harangues :
Tel que ce beau garçon, dans un procès récent,
Tellement du Midi qu'il n'avait pas d'accent.
- Croyez-moi, je le tiens de la grande baronne,
Une langue suffit pourvu qu'elle soit bonne.
Ce capital se perd, d'habitude, en tombant
Sur le bi, sur le bout, le bi du bout du banc,
Sur un tas de cailloux, et, (la chose s'est vue)
Quelquefois même en revenant de la revue.
Généralement on n'en fait qu'un seul repas,
Et comme Boulanger, dame, il ne revient pas,
Le bougre, quand il part, enfile une venelle
Et ne s'arrête plus qu'en la nuit éternelle.
Mais le Printemps en vous fait du charivari,
Il vous faut un amant à défaut d'un mari.
Aussi bien, je m'en vais en qualité de maire
Vous donner là-dessus quelques conseils de père :
Ne prenez pas, ma fille, un amoureux trop vieux,
En amour il n'est pas assez laborieux ;
N'allez pas pour cela vous ruer sur un jeune,
L'indigestion ne vaut pas mieux que le jeûne.
Qu'il ne soit pas trop beau, car on vous le prendrait.
Qu'il ne soit pas trop laid, on vous le laisserait.
Qu'il ne soit ni petit ni grand, ô citoyenne,
Choisissez-le plutôt d'une bonne moyenne,
Méfiez-vous aussi des gens qui sont trop gras :
Les gras s'en vont en deliquium dans vos bras ;
Et des maigres : le maigre est toujours un peu maigre.
Entrelardé vaut mieux. N'essayez pas du nègre :
Avec lui ce serait un tout à fait autre air.
Ma fille, voyez-vous, ce suppôt de l'enfer
Est plus noir au dedans qu'il n'est à la surface :
Jamais vous ne pourriez le contempler en face.
N'admettez pas non plus pour votre compagnon
Un de ces gens sans yeux, qui portent un lorgnon ;
Dans la peau, quand ils vous embrassent, ça vous entre,
Quelquefois même ils vous en écorchent le ventre.
Ne vous jetez pas sur les hommes chevelus,
On les lâche d'un cran lorsqu'ils ne les ont plus.
Ni sur les chauves : bien que ces messieurs les chauves
Se comportent fort bien dans le sein des alcôves.
Bef, je crois qu'ici vous trouverez un époux.
Mais permettez, avant de m'éloignez de vous,
Que mes longs cheveux blancs que leur néant décore
Vous donnent, mon enfant, quelques avis encore.
Quand vous avez chez vous le plus petit bijou,
Les Pranzini avec votre cou font joujou, *
Davantage il ne sert d'avoir une toquante
Qu'à savoir qu'on vous tue à cinq heures cinquante,
Par exemple ; est-ce pas inutile ? Mais si.
Sachez encore pour votre instruction ceci :
Dans un gouvernement qui veut être prospère
Le général Paulus est toujours nécessaire.
Enfin, si vous toussez, voilà l'essentiel :
Prenez aussitôt des pastilles Géraudel.
RAOUL PONCHON
Courrier Français
31 juillet 1887
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