15 oct. 2007

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Le Conchyliomane
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Parmi les humaines manies
Celle de la collection
Va jusques à la tyrannie,
Refuse toute objection.

Je connais un doux maniaque
Enragé collectionneur
De coquillages. Il bivaque
Entre le Croisic et Honfleur.

Il ne vous parle d'une moule
Qu'avec des larmes dans la voix.
Devant un bernicle il roule
Des yeux comme un magot chinois.


Il les paquette, dépaquette,
Les brosse du matin au soir,
Il les classe, les étiquette,
Les distribue en des tiroirs.

De même il leur tient des langages,
Les écoute de temps en temps ;
Car on sait que les coquillages
Parlent toujours entre leurs dents.

Comme une mère sans pareille
Il les caresse de la main,
Leur met du coton dans l'oreille,
Pourquoi s'arrêter en chemin ?


Jamais il ne lache sa loupe.
Ses coquilles sont près de lui,
Même quand il mange sa soupe ;
Sans elles il mourrait d'ennui.

Il en a de toutes les formes
Ainsi que de tous les formats.
Il a des bénitiers énormes
Comme des vaisseaux à trois mâts.

Les coquillages qu'il préfère
Sont les plus petits, mais pourquoi ?...
De ceux-là que l'on ne voit guère
Qu'avecque les yeux de la foi.


Il en a de microscopiques
Qui portent des noms effrayants ;
Mais lui les trouve sympathiques
Adéquats et des plus seyants.

Il se les dit pour les entendre ;
Il s'en gargarise le bec.
Voire il a l'air de les comprendre,
Sachant son latin et son grec.

Eh bien, cet âne, ce belitre
Mourra, j'ai la conviction,
Sans savoir qu'il est la vraie huitre
De sa propre collection.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
21 sept. 1902

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