9 oct. 2007

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LE CRIME

Un homme avait commis un crime
Atroce, sans raison, sans rime :
Il avait tué sa maman
- Pour tout dire - le caïman !
Mais il prétendait le contraire.
" Tuer ma maman ? pourquoi faire ?
C'est faux, dit-il, ou, j'ai rêvé.
Ou bien, prouvez-le moi, té vé ! "

Ce qu'on fit. De hauts personnages
Apportèrent leurs témoignages :
Des ducs, des rois, des empereurs
Qu'on ne peut soupçonner d'erreurs.
Notre regretté Félix Faure
Du temps qu'il présidait encore.
Puis ce fut le tour de Loubet
Qui vint dire ce qu'il savait.
Il ne savait rien. Mais n'importe,
Sa présomption était forte.


La cour cita des généraux,
Et des états-majors bureaux,
- Car le crime - à quoi bon m'en taire ? -
Relevait du seul militaire -
Des colonels, des intendants,
Des lieut et sous-lieutenants,
Des sergents de toutes manières,
Des cantiniers, des cantinières,
Des fantassins, des cavaliers,
Des caporaux, des brigadiers,
Des soldats de deuxième classe
Comme aussi de troisième classe...

Après ces militaires vils
- Comme on dit - vinrent les civils,
Attendu que ces militaires
Entouraient le cas de mystères,
N'arrivaient, malgré leur dessein,
A confondre notre assassin.
Ce fut des hommes de sciences
Qui, sur leur âme et conscience,
Jurèrent qu'ils ne savaient rien
Du crime affreux de ce vaurien.


Puis on entendit des artistes,
Des professeurs, des journalistes,
Des députés, des sénateurs,
Des diplomates, des docteurs,
Des artisans, des ébénistes,
Des entrepreneurs de bâtisses,
Des forgerons, des couteliers
Ainsi que des arquebusiers
Qui, selon la cour martiale,
( Epreuve à coup sûr capitale )
Devaient reconnaître l'outil
Dont l'assassin s'était servi.
Rien d'ailleurs ils ne reconnurent,
Tels ils étaient venus, s'en furent.
Puis ce fut le vulgum pecus
Avec le profanum vulgus
Qui vinrent à la barre dire
Qu'ils n'avaient surtout rien à dire.
Celui-ci parlerait plus tard.
Cet autre, demain sans retard.
Des muets, mais ce fut un leurre,
Parlèrent pendant trois quarts d'heure.


Au bout d'un an il ne restait
Plus qu'un témoin à ouïr. C'était
De l'Obélisque la concierge,
Une ancienne demi-vierge ;
" Je n'ai rien vu, je ne sais rien,
Dit-elle. Mais, croyez-le bien,
J'en ai cependant long à dire. "
Le président lui dit : " Tant pire !
Enfin, marchez, je vous entends.
Et surtout prenez votre temps.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
27.08.1899





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