12 oct. 2007

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MORT DE LA PENULTIEME
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... La mort de l'Antépénultième
de M. Stephane Mallarmé...
(HENRY FOUQUIER)

La PENULTIEME est morte ; elle est morte,
bien morte, la désespérée Pénultième.
(STEPHANE MALLARME -
Le Démon de l'Analogie)



Ce n'est pas l'Antépénultième
Dont nous déplorons le trépas
Mais la Pénultième elle-même,
Nestor, ne vous y trompez pas.

Il faut être de Saint-Domingue,
Et dans un crâne déprimé
Avoir la cervelle en meringue,
Pour être aussi mal informé.

Comme si l'Antépénultième
Pouvait mourir ! Ah ! sachez-le :
Elle pourrait choir du septième
Sans se faire le moindre bleu.

Ne dites donc plus qu'elle est morte,
C'est trop ridicule, et vous vous
Feriez huer de belle sorte
Par le plus fermé des Papous.

Celle qui est morte et bien morte,
Par exemple, croyez-le bien,
C'est la Pénultième. Elle est morte,
Et personne n'y pourrait rien.

Quant à moi, j'en sais quelque chose :
Je fus à son enterrement
Et puisque aussi bien l'on en cause,
Elle mourut voici comment.

Elle était, quand je l'ai connue,
- Je parle déjà d'un moment -
Une personne assez menue
Qui ne manquait pas d'agrément.

Elle avait ainsi que la Terre
Des cheveux verts et des yeux bleus.
Et sur sa bouche de mystère
Errait un parler nébuleux.


Ai-je dit qu'elle était coiffée
(Détail) à la ventre affamé ?...
Vous eussiez juré d'une fée
Qui se meurt d'avoir trop aimé.

Un teint de très pâle améthyste
La disait malade, à coup sûr ;
Une résignation triste
Habitait dans ses yeux d'azur.

Certes, elle avait conscience
Du mal qui devait l'emporter
Et qu'aucune humaine science
Hélas ! ne saurait arrêter.

Je dois dire aussi qu'un brave homme,
Mallarmé, la comblait de soins,
Et d'une main non économe
Subvenait à ses besoins.

Longtemps je la perdis de vue
Quand voilà qu'un beau jour j'appris
Par je ne sais quelle Revue
Qu'elle n'était plus à Paris.

Les docteurs l'avaient condamnée.
Elle avait, suivant leurs conseils,
Fui vers la Méditerrannée,
Dans le pays des bons soleils.

L'air du Midi, la bouillabaisse
Lui redonnèrent, paraît-il,
Un peu de téton et de fesse
Mais ça ne dura qu'un avril.

L'heure vint, la mort étant prête,
Où tous soins furent superflus ;
Elle s'alita, la pauvrette,
Pour ne se lever jamais plus.


Elle mourut, de tous pleurée.
Ses derniers mots furent ceux-ci ;
" Adieu... je meurs désespérée... "
Oui, voilà bien, c'est bien ainsi

Qu'en l'an soixante et dis-septième
Environ, vers le mois de mai,
Mourut la pauvre Pénultième
Entre les bras de Mallarmé.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
16.02.1896

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