13 sept. 2007

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Un élégant nonagénaire
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Raoul. Ponchon
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Un accident stupide, obligeant le poète nonagénaire à renoncer à sa promenade quotidienne, a causé sa mort et a privé le monde littéraire de fêter un centenaire attendu de pied ferme.
Tout habitant cultivé du quartier latin connaissait sa silhouette, droite malgré son grand âge, et connaissait son itinéraire quotidien, toujours le même, le grand périple autour du musée de Cluny. On le voyait s’avancer à petits pas, s’arrêtant au milieu du trottoir pour marmotter quelques phrases que son « double » seul pouvait entendre, ponctuées de gestes énergiques jetés vers l’inconnu. Son portrait, il l’a tracé lui-même :

Voyons, je toise à peu près dans
Les un mètre soixante ;
J’ai trente cheveux, quinze dents
Et six trois quarts je gante.

Mon nez affecte d’être rond
Comme ceux de mes pères ;
Mes yeux me paraissent marron…

Je tends à prendre du bedon
Et j’ai de la barbe au menton
Partagée en deux pointes…

Sa mise était soignée et toujours il portait une fleur à la boutonnière ; il avait d’ailleurs un véritable culte pour les fleurs et leur consacra quelques uns de ses plus beaux vers :


Il était un petit bonhomme,
Bien connu de Paris à Rome,
Ni pire qu’un autre ou meilleur,
Montmartrois frotté de Tartare,
Et qui raclait de la guitare
On l’appelait : la Pouche en fleur.

Ce nom le coiffait à merveille,
Car, outre la gueule vermeille,
Qu’il devait, ô vigne, à tes pleurs,
Figurez-vous que le pauvre être
Avait, au point de s’en repaître,
Un goût délicat pour les fleurs


« La Pouche en fleur ». Son acte de naissance, daté du 30 décembre 1848, à la Roche-sur-Yon, lui donne, en effet, le nom de Pouchon, Joseph, Raoul. Il s’arrêtait aux devantures, compulsait les boîtes des libraires et des bouquinistes, échangeait quelques remarques avec l’invisible et reprenait sa course jusqu’au moment où, vers les cinq heures, la banquette accueillante du café de Cluny lui permettait de savourer une ou deux heures de repos réparateur en dégustant son demi quotidien.
Parce qu’il célébra le vin, la bonne chère et les amours faciles, on a voulu le représenter comme un ivrogne paillard, réputation qui n’était d’ailleurs pas pour lui déplaire :


Déjà je suis saoul,
Aussi vrai qu’à Séoul
On m’appelle Raoul…

En général j’ai la gueule de bois,
Etant toujours un peu bu de la veille…


Sans vouloir le représenter comme un abstinent – ne le vit-on pas, jadis, tituber entre ses deux inséparables, Richepin et Bouchor – il y a beaucoup de hâblerie dans ces propos, et, l’âge venu, il sut se restreindre à quelques demis inoffensifs.

S’il restait, à 89 ans, frais et rose de visage, alerte et infatigable promeneur :

Depuis qu’à travers la grand’ville
Je vais promenant et badaudant,
Y semant mon cheveu, ma dent
Ainsi que ma liste civile…

c’est à la frugalité et à la sobriété – mettons relative – qu’il sut s’imposer pendant les dix dernières années de sa vie qu’il le devait, et aussi à son insouciance et à son dédain des honneurs…



Epistemon

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