14 sept. 2007

Que de drapeaux, que de drapeaux !


Le jour du quatorze Juillet,
Va donc voir un peu, s’il te plaît,
Le temps qu’il fait, dis-je à ma femme,
Et voici que ma très chère âme
Me tint ce singulier propos :
Mon poulet, il fait des drapeaux !

Cette réponse sans nul sexe
Me laissa quelque temps perplexe ;
Pourtant, reprenant mes esprits,
Je compris enfin, je compris :
Et je dis de ma voix normale :
Bon ! La fête nationale !

Mettons aussi notre drapeau,
Il n’est sans doute qu’un lambeau
Mais il m’a coûté des centimes
Et m’a servi sous vingt régimes ;
Il peut encore aller au trot,
Pourvu qu’il ne pleuve pas trop.

Puis nous sortîmes dans la rue.
A travers la foule bourrue
Hélas ! Nous ne pouvons marcher…
Si nous retournions nous coucher ?
A peine le matin commence
Et la multitude est immense ;
Et quel tas de drapeaux je vois !
Les trottoirs en ont jusqu’aux toits.


Jamais je ne pourrai m’y faire,
Cela change mon atmosphère :
Il n’est pas jusques aux chevaux
Qui n’en aient aussi plein le dos.
Ma parole ! A chaque fenêtre
On les voit, on les entend naître ;
Je suis une bête à lier
S’il n’en pousse pas un millier
Au moment même que je parle,
(Croyez-moi, je ne suis pas d’Arle.)

Mais qu’est-ce que ces petits bancs,
Ces petits «bi du bout du banc » ?*
Ce sont les bataillons scolaires :
Je veux qu’on me mette aux galères
S’ils ne me semblaient des morveaux
Ou des demi-quarts de drapeaux ;
« Gais et contents, le cœur à l’aise »
Ils chantent cette Marseillaise
Que chante avec un si grand art
Le Général à l’Alcazar,
Qui plonge dans les allégresses
Les Chapeaux gris et les Tendresses.
Si je pouvais foutre le camp,
N’importe où, quelque part, à Caen,
Sortir de cette horrible foule
Où je roule comme une boule
Afin de m’exiler un peu
De ce rouge, ce blanc, ce bleu ;
Me noyer avec ma compagne
Dans le sein vert de la campagne !


Ah ! bien oui ! Le vert n’est plus vert,
De tricolore il est couvert :
Quand on croit saisir une branche
On tient un drapeau par le manche ;
Et s’en aller loin de Paris
Ce serait toujours le même prix :
Dans tous les villages de France
Et même à Dinard sur la Rance,
Le mot d’ordre en ce jour si beau
N’est-il pas Paulus et Drapeau ?

Nous allâmes donc sans vergogne
Du côté du bois de Boulogne ;
Avec un morceau de veau froid
Nous déjeunâmes comme un roi ;
Mais nous voulûmes, ô bévue,
Aller ensuite à la Revue : *
La Revue est, vous le savez bien,
Un endroit où l’on ne voit rien ;
Je sais cela de longue date,
Pourtant jamais je ne la rate.
Lorsque l’on arrive à Longchamps
On voit tout d’abord des marchands
De n’importe quoi. La nature
Y sent vinasse, ail et friture :
Car sans friture l’on sait bien
Qu’une fête ne serait rien.
Mais le pire, vraiment, des pires
Diraient nos modernes Shakespeares,
C’est que, par ces fortes chaleurs,
Sur cette foule aux trois couleurs
Plane une soif intarissable
Comme sur un désert de sable.


Nous sommes tellement pressés,
Bousculés, pilés, entassés
Que nous n’avons pas une marge
Suffisante pour rire en large,
Et l’on nous marche sur les pieds
Qui deviennent de plats papiers.
J’allais avec enthousiasme
Quitter cet endroit de marasme
Quand j’entends crier : Le voilà !
Il se fait un grand tralala.
C’était, il fallut bien le croire,
Le petit père de la Victoire,
Le brave général Paulus*
Annoncé par Nostradamus,
Et tous poussaient ces cris sonores,
Je dirai même tricolores :
Vive Paulus, il reviendra,
Où jamais il ne partira.
- Comme la foule me le cache
Je ne peux voir que son panache –
Il reviendra, c’est bien certain,
Pas plus tard que demain matin :
Toute la France le réclame ;
Il n’est pas jusques à sa femme…
Il ira réduire en copeaux
Les Allemands et leurs drapeaux ;
Il nous rattrapera sans peine
L’Alsace ainsi que la Lorraine ;
Il prendra l’Allemagne enfin
Comme on prend un verre de vin !
Ainsi soit-il !



Raoul Ponchon











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