14 sept. 2007

l'océan renait
Les bons Parisiens croient généralement
Que le grand Océan existe seulement
Pendant trois mois de l’an, soit l’espace d’un terme,
Et qu’au bout de ce laps,- tel un théâtre- on ferme.
Ils croient tous ces trous du…vicomtes du Conneau
Que c’est un lac immense avec du casino
Autour, une façon de bain, une manière
D’étuve faite pour décrasser leur derrière,
Hélas ! Et que ton sable, ô mer,- tu vois ces veaux,-
N’est beau qu’au déploiement des courses de chevaux,
A moins, que dénudant leurs affligeantes quilles,
Pris d’un beau sport, ils n’y taquinent des équilles.

Eh bien, ce n’est pas ça du tout la Mer. Oh ! non.
C'est même le contraire, on le voit rien quau nom :
La MER !....



Qui diable a pu leur donner cette idée ?
C’est que pendant trois mois la vieille s’est fardée ;
Elle a craint d’effrayer l’estomac débilas
Des petits copurchics qui sucent le Gil Blas.
Elle a pendant trois mois eu des vagues amis
Pour leurs os cariés et pour leurs anémies ;
Elle, pour ces gens-là qui la croient un lavoir,
S’est prise de pitié, c’est bien facile à voir.

Oui, le grand Océan, contempteur de la foule
Pendant une saison languissamment se roule
Comme un lion poussif, édenté, déplumé,
Que flatte de la main madame Langlumé,
Les petits Langlumé, bref, tous les Langlumés,
Et le tas monstrueux des pâles enrhumés.
A le voir on dirait la Méditerranée
Bleue à vous rendre sourd pendant toute l’année ;
A peine si l’on sent son flux et son reflux ;
Quand au son de sa voix on ne le connaît plus.
Il est atrocement monotone et quelconque ;
Pas le moindre triton n’y souffle dans sa conque,
Et le regard lointain qu’attire l’horizon
S’étonne de n’y pas rencontrer de maison.
C’est un brouet d’andouille, une fade tartine
Comme un Lac qui serait d’un faux de Lamartine ;
Et si l’on n’y voyait parfois quelques bateaux
Ça et là, pour désennuyer cette morte eau,
On ne saurait jamais ce que la mer veut dire,
Et pourquoi Richepin la chante sur sa lyre.


Ah ! Certes, si la mer était toujours ainsi,
Les poètes ne la diraient pas, dieu merci !
Et les fiers matelots, ces oiseaux des tempêtes
Dédaigneraient aussi les faciles conquêtes,
La pêche aventureuse avec ses durs travaux,
Les périlleux départs pour les pays nouveaux ;
Et laissant pour toujours leur chimère et leurs rêves
On les verrait le soir attardés sur les grèves
Regarder sans amour leurs agiles vaisseaux
Pourrir comme feraient des carcasses d’oiseaux.
Seul le bourgeois hideux couché dans sa gondole
Y batifolerait avec son Espagnole
Ainsi que sur la Marne ou sur les lacs du Bois.
Il croirait que la mer est cette eau que tu bois.

O mer ! il est parti ce monde veule et triste
Qui commence au baigneur et finit au touriste :
Il s’ en est retourné grand’largue vers Paris
Manger du lièvre feint, de la fausse perdrix.
Lorsque passe sur toi le souffle de septembre
Ce malade en congé doit regagner sa chambre ;
C’est tout ce que pouvaient supporter ses poumons
Ces trois mois respirés parmi les goémons ;
Cet hiver, il sera rendu, courbatu, flasque
Et naturellement rouillé comme un vieux casque :
Dame ! Toute cette eau fait de l’humidité.


Allons, jusqu’au revoir, Messieurs, à cet été.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
23 oct. 1887




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