14 sept. 2007

Le Monôme


Extraits de presse…

Petit Parisien,11 avril 1891,p.3,c.1 :

« M. Clément, commissaire aux délégations judiciaires, accompagné de 28 agents de la Sûreté, a fait avant-hier soir (9 avril), vers six heures, une descente dans un bain de vapeur de la rue de Penthièvre où se réunissaient des individus de mœurs inavouables. Seize personnes ont été arrêtées et conduites à la Sûreté où elles ont été interrogées sur-le-champ. »

La Gazette du Palais du 25 avril 1891,p. 3, établit que parmi les prévenus figuraient un Suisse, deux Américains et un baronet anglais, Gaston Cooper.

De ces informations, Raoul Ponchon tira, si je puis me permettre, la substance d’une gazette rimée particulièrement imagée…

Or, c’est dans ta rue, ô Penthièvre,
Et, sans doute au numéro cent :
(Je dis Penthièvre et non de Thièvre,
Remarquez-le bien en passant.)

Quelques bougres du meilleur monde
Avaient adopté là des bains,
Et s’y jouaient au sein de l’onde
Pêle-mêle avec des larbins.

Là, des étrangers dilettantes
Trouvant les hôtels hors de prix,
Fort souvent y plantaient leurs tantes,
Pendant leur séjour à Paris.

Mais se baigner était leur moindre,
Leur Coquelin cadet souci !
Leur souci ? Vous le voyez poindre,
Le voyez-vous poindre d’ici.

Je voudrais me faire comprendre
Sans en dire trop long : aussi,
Tâchez, ma chère de m’entendre
A l’aide des mots que voici :

Comme l’on fait avec les dames
Quand on se trompe de côté,
Ils jouaient donc, entr’eux, sans femmes,
A divers jeux non sans beauté ;

A riflandouille ; à : vois mon chose
Ca n’est pas un grain de millet ;
A : Si tu veux avoir ma rose,
Ne compte pas sur mon œillet…

A s’entre-polir la colonne…
Vertébrale, bien gentiment,
Ca ne fait de mal à personne
Et ça peut distraire un moment.

Or, croiriez-vous que la police
Vint troubler leurs jeux innocents ;
- Elle trouve de la malice
Partout, ç’a-t-il du bon sens ?

Quand se rua la Préfecture
Ils étaient à la queu’leu leu,
Dans le simple état de nature,
Jouant à l’on ne sait quel jeu.

Le premier qui tenait la tête
Voyant entrer l’homme de loi,
Crut fondre sur lui la tempête
Et serra les fesses d’effroi.

Le second fut pris ! le troisième
N’en mena pas large non plus ;
Le suivant fut saisi de même
Comme un oiseau pris dans des glus ;

Le dernier de ces bons apôtres
N’eut garde de se dilater,
Mais s’il serrait comme les autres
Il pouvait néanmoins péter.

« Suivez-moi chez le commissaire,
Dit l’empêcheur de…rire en rond.
- Las ! disaient-ils, quelle misère !
Nous faut-il subir cet affront ? »

Les voilà pourtant dans la rue.
On eût dit d’un vaste serpent ;
La foule bientôt accourue
Aima ce spectacle pimpant.


On trouvait bien un peu bizarre
Qu’ils fussent nus comme la main,
Mais l’étonnement le plus rare
Ne dure pas jusqu ‘à demain.

Ils allaient donc et sans pelure,
Au petit pas ou bien au trot ;
Quelquefois ils changeaient d’allure,
Et prenaient un temps de galop ;

Alors, c’était au pas de course
Que franchissaient nos voyageurs
Ta place, tour à tour, ô Bourse,
Et votre rue, ô Déchargeurs !

Les enfants disaient à leurs pères :
« Ils emboîtent vraiment le pas ;
Dirait-on pas des militaires ?
- C’en est », répondaient les papas.

Un monôme, - disait Chincholle,
C’est un monôme assurément…
Des élèves de quelque Ecole
Centrale du gouvernement.

Parfois à cause des voitures
Le monôme se débandait,
Mais, l’homme de la Préfecture
Ouvrait l’œil et le raccordait.



« Ah ! pauvres bêtes que nous sommes !
Déploraient des chiens in petto,
Quand nous faisons comme ces hommes
On nous flanque de grands seaux d’eau !

Enfin au poste ils arrivèrent
Devant un juge sans raison ;
Et, l’un dans l’autre ils écopèrent
Plusieurs trente jours de prison.

« Fermons nos c…oeurs à l’Espérance,
Dirent-ils, autant s’en aller ;
C’en est fait de toi, pauvre France,
Si l’on ne peut plus rigoler ! »


R.P
Courrier Français,
3 mai 1891
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