14 sept. 2007

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L’AMOUR et L’ABEILLE

Imité vaguement d'Anacréon*



Un jour, tandis que sa mère
Avec le dieu des combats,
Son époux intérimaire,
S'amusait sans cadenas,

L'enfant Amour, dont le rôle
Etait de muser plus loin,
Musait plus loin. et mon drôle
S'en acquittait avec soin.

Il courtisait les fleurettes,
Poursuivait les papillons,
Se roulait dans les herbettes
A cul-nu, sans pantalons.

Quand, d'une vermeille rose,
Hélas ! tout à coup, voilà
Qu'une abeille, en elle close,
Surgit, qui le harcela.


Et,sur sa main potelée
Il sentit une chaleur.
En la voyant tout enflée
Et qui changeait de couleur,

Il poussa des cris d'orfraie
Et se dépêcha d'abord
Vers sa mère Cythérée :
" Maman, dit-il, je suis mort ! "

Vénus prit ce sans-culotte :
- Va, ce n'est rien mon chéri.
Et, soufflant sur sa menotte,
Lui dit : - Te voilà guéri.

Mais qui donc, enfant de pute
De la sorte t’arrangea ?
Tu as dû chercher dispute,
On veut croire, à quelque chat ?

Est-ce Thalie ? Euphrosine,
En plaisantant avec toi ?…
Ou si ce n’est qu’une épine
Qui t’aura piqué…dis-moi ?

- Non, maman. C’est une bête
Grosse comme un éléphant,
Avec des crocs plein la tête
Et des ailes, dit l’enfant.


- Bon. Je sais. C’est une abeille,
D’où nous vient le miel friand
En tout, comme lui vermeille,
Fit Vénus en souriant.

Si donc une bestiole
Peut te causer ce bobo,
Qui te fait perdre la fiole,
Songe alors, méchant crapaud,

A cette affreuse blessure
Que, toi, tu boutes au cœur
Avec tes dards ! Je t’assure
Que l’on en meurt de langueur.

Tu ne m’as pas épargnée,
Moi, ta pauvre mère. Et si
Je n’avais été soignée
Par le docteur que voici…

Je ne serais pas ici.


RAOUL PONCHON
1914
La muse vagabonde




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