19 mai 2022

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CLEO DE MERODE ?


Une très fine statuette * 
Etonne au salon tous les yeux 
Et fait travailler la luette
 De ces dames et ces messieurs. 

Elle séduit tôt par sa mise 
Qui est celle d’une beauté 
Venant de quitter sa chemise 
Sans souci du monde à côté. 

Les jambes sont sveltes, les hanches 
Vont en lyre s’élargissant, 
Désirables, fermes et franches ; 
Et le ventre est d’un qui consent.
 
Que si l’on s’attarde à la croupe, 
On peut dire : Tiens, la voilà ! 
Il n’est pas besoin d’une loupe 
Pour s’apercevoir qu’elle est là .


Les seins un peu forts pour le buste 
Prennent librement leur essor ; 
Mais des lacs du corset trop juste 
La chair semble meurtrie encore. 

Les bras graciles, par contraste, 
Semblent deux rameaux tortueux 
Ils dessinent un geste chaste 
A la fois et voluptueux.

La tête faut-il la décrire ? 
Elle est virginale surtout, 
Malgré l’inquiétant sourire 
Qui ne dit rien et qui dit tout. 

Et le délicieux modèle, 
Pure fleur de modernité, 
Qui telle Laïs pour Apelle 
Posa pour cette nudité ; 

Mignonne Cléo de Mérode, 
Friand petit morceau de roi 
Qui gambillas… devant Hérode, 
D’aucuns prétendent que c’est toi .


« C’est d’une impudeur sans pareille 
- Disent-ils - cet être ingénu 
Qui tout en cachant ses oreilles 
Nous invite à son corps tout nu. » 

Est-ce ou n’est-ce pas toi ? Qu’importe ! 
Tu réclames bien vainement. 
Le public - que le diable emporte ! - 
Ne te verra plus autrement. 

Si ce corps est le tien fidèle, 
Pourquoi prendre à témoins les dieux ? 
Si tu ne fus pas le modèle 
De ce marbre prestigieux ; 

Je ne vois pas ce qui t’attriste 
Ni qui puisse t’effaroucher : 
Le corps que t’a prêté l’artiste 
N’a rien de vilain à cacher. 

O fausse pudeur d’être nue ! 
Et puis d’ailleurs tu ne l’es pas. 
Pour être complètement nue, 
Il eût fallu garder tes bas.


RAOUL PONCHON 
Courrier Français 10 mai 1896 Muse gaillarde

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