17 sept. 2007

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LES DAHOMEENS
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De 1877 à 1912, "Nubiens, Achantis, Hottentots, Somalis, Dahoméens" sont exhibés au Jardin d'acclimatation de Paris * , créé en 1850, pour présenter les espèces animales et végétales issues des différentes parties du monde.
1893 : En pleine guerre du Dahomey (auj. Bénin), Ponchon donne sa touche personnelle à une de ces exhibitions d' Indigènes.
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A Jean Bayol *
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Ils sont là… pour quelle fête ,
Sous quelque dôme central,
Regardés comme des bêtes
Par un peuple électoral !

Qui s’étonne, rit, se moque,
Ethnographe au besoin,
Liche de la bière and smoke
Et bafouille - qu’avec soin !

Leur main lui semble une patte
Propre à se carapater,
Et de leur nez qui s’épate
Il va d’abord s’épater.

Eux, de leurs yeux qui caressent,
Remarquent aussi nos nez,
Mais les bougres ne paraissent
Pas autrement étonnés.
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Dame, songez que nos linges
Ne leur semblent pas nouveaux,
Et que ces soi-disant singes
Ont déjà connu des veaux ;

Qu’ils ont traversé nos villes,
Jugé nos maisons-prisons,
Nos habitudes civiles
Et nos piètres horizons.

Qu’est-ce nos cités, nos fastes,
En effet, et nos cieux bleus
Auprès de leurs forêts vastes
Et leur soleil fabuleux ,

Mais voilà que votre rire
Eclate comme un obus
En voyant le roi, leur sire
Coiffé d’un chapeau gibus.


Quelle grande différence
Faîtes-vous avec Carnot ?
Notre Behanzin
* de France
M’a l’air tout aussi fourneau


Ils sont, selon la coutume
Vêtus d’un pagne discret :
A ce sommaire costume
Qui de nous résisterait ?


Voyez-vous, à la campagne,
Francisque Sarcey fringué
D’un simple et modeste pagne…
Serait-ce pas plutôt gai ?

Et moi-même, pauvre bonze,
Serais beau dans les prix doux ;
Car s’ils nous semblent en bronze,
Nous avons l’air en saindoux.


Leurs femmes, avec ces blagues
(Dites-vous) qui sont leurs seins
Pourraient se donner des schlagues
Jusqu’au bas de leur bassin ?

Belles aux globes d’ivoire,
Je voudrais bien vous y voir…
Il serait piteux de croire
Qu’il faut vouloir pour pouvoir ;

J’en ai vu d’un modelage
Exquis de vos fiers tetons
En corset, au déballage
Tomber jusqu’à vos petons.


Vous les déclarez cupides
Affamés de gros sous… faut-
Il que vous soyez stupides !
C’est votre moindre défaut…

Leur musique vous irrite !
Mais, vous paraissez bien prompts
A dire qu’elle est écrite
Uniquement pour chaudron ;

Votre oreille habituée
Aux atroces pianos,
Que dis-je ? Morte, tuée
Par vos douloureux Gounods.

Ne saurait à coup sûr être
Sensible à sa grande voix ;
Elle est ce qu’elle doit être,
Naïve et sainte à la fois.

Mais laissons cette querelle
Qui pourrait durer six mois,
J’entends quelqu’un qui m’appelle…
Ah … pour finir, dîtes-moi

Quel donc avis est le vôtre ?
Lequel - du Dahoméen
Se donne en spectacle à l’autre
Ou bien de l’Européen ?


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
23 avr. 1893
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