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LE LEGS OSIRIS
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M. Osiris * laisse par testament vingt-cinq millions à l’Institut Pasteur.
Evidemment, ton geste est beau,
Osiris mon vieux frère,
- Bien que tu me laisses la peau -
Mais il est téméraire.
En léguant à cet Institut,
Dans la philantropie,
Cette fortune immense, tu
Crus faire une œuvre pie…
Certes. Mais tu n’as pas compté,
Ou tu n’as compté guère
Avec nous, pauvre humanité
Et profane vulgaire.
Il est certain que ces messieurs
Qui vivent de carêmes,
Ne seront pas fort soucieux
De cet or, pour eux-mêmes.
On ne voit pas bien Metschnikoff,
Malgré cet héritage,
Vivre tout à coup en sous-off,
Et Roux pas davantage.
De même il ne me paraît pas
Que notre Chantemesse
En fera de plus un repas,
Dira de noires messes…
Hélas ! non. Ces puissants cerveaux,
A qui je rends hommage,
Vont continuer leurs travaux,
A notre grand dommage.
Avec ces vingt-cinq millions
Qu’on leur donne en patûre,
Ils multiplierons leurs bouillons…
Tu parles ! de culture.
Vont-ils en déchaîner des tas
De bacilles, microbes…
Sur ce que nous mangeons ! C’est à
Devenir hydrophobes.
Pourra-t-on seulement gober
Un simple œuf à la coque,
Quelle misère ! Sans tomber
Sur quelque streptocoque ?
Ils nous diront qu’un grain de riz
Est un puits de vermine.
Enfin, tous aliments proscrits,
Nous mourrons de famine.
C’est à se demander comment
Jusqu’ici nous vécûmes
Encore qu’inconsciemment -
De viande et de légumes ?
C’est qu’il est des grâces d’état…
Ou que nous n’avons cure
Avant qu’on ne nous dotât
De leur vermine obscure.
Ils ne pourront en rester là,
Car leur sport les emballe.
Ils vont, ainsi qu’ils feraient la
Pierre philosophale,
Chercher des microbes nouveaux,
N’en fût-il plus au monde ;
Maintenant que l’or, à propos,
Dans leur cuisine abonde.
C’en est pourtant assez, vraiment,
Sur ce globe éphémère ;
Déjà, pour leur dénombrement,
Il faudrait un Homère.
C’est pourquoi vous eûtes bien tort,
Monsieur le philanthrope,
De leur laisser ce coffre-fort.
Car c’est nous qui « écope ».
Oui, vous fûtes bien étourdi,
Si ce n’est bien barbare.
C’est un sale coup - comme dit
L’autre - pour la fanfare !
Raoul Ponchon
le Journal - 11 02 1907
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