28 sept. 2007

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L’ART DE S’ENNUYER
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Bien qu’en province il règne un ennui léthifère
Vaste comme les cieux,
C’est encore à Paris que l’on sait l’art sévère
De s’ennuyer le mieux.

Les bons provinciaux s’ennuient, comme on respire,
D’un ennui sans appel,
Ils s’ennuient sans savoir, c’est un don, pour tout dire,
Que leur a fait le Ciel.

Le Parisien, lui, s’ennuie avec méthode,
Avec raffinement,
Il érige l’ennui, en quelque sorte, en mode,
En code, par moment.

Bien qu’on ait, à Paris, mille sortes bizarres
D’ennuis à chaque pas,
On rencontre pourtant de ces urbains hilares
Qui ne les trouvent pas.

Dame ! Il y faut aussi dépenser de l’adresse,
Etre un peu du métier.
Voici quelques conseils pour ceux-là qu’intéresse
L’art pur de s’ennuyer :


J’admets donc, cher lecteur, que tout d’abord et d’une,
T’en as une santé ;
De même tu jouis d’une grande fortune
Ou d’un crédit coté.

Si tu n’as pas d’argent, va t’asseoir, et pour cause,
Car tu m’accordes bien
Que s’achète l’ennui tout ainsi qu’autre chose,
Que tu n’as rien pour rien.

Maintenant, tu voudrais t’ennuyer. Tu n’as guère
Que l’embarras du choix.
D’après mon jugement, tu dois te mettre en querre
D’un local de bourgeois,

Dans une âpre maison de rapport, insalubre,
Donnant sur une cour.
Tu pourrais te payer un hôtel, moins lugubre,
Mais non, par tous les Dieux !

Tu te meubles ensuite avec du « modern style »,
Tu tiens au genre anglais.
Tu préfères au beau, bien entendu, l’utile ;
L’ignoble seul te plaît.

Prends l’habit le plus laid et le plus incommode,
Non parce qu’il te va,
Mais fanatiquement parce que c’est la mode
Qu’un idiot rêva.

Ne travaille jamais, pour faire des épates,
C’est bon pour les feignants ;
Tu es trop délicat ; ne te sers de tes pattes
Que pour mettre des gants.



J’admets donc, cher lecteur, que tout d’abord et d’une,
T’en as une santé ;
De même tu jouis d’une grande fortune
Ou d’un crédit coté.

Si tu n’as pas d’argent, va t’asseoir, et pour cause,
Car tu m’accordes bien
Que s’achète l’ennui tout ainsi qu’autre chose,
Que tu n’as rien pour rien.

Maintenant, tu voudrais t’ennuyer. Tu n’as guère
Que l’embarras du choix.
D’après mon jugement, tu dois te mettre en querre
D’un local de bourgeois,

Dans une âpre maison de rapport, insalubre,
Donnant sur une cour.
Tu pourrais te payer un hôtel, moins lugubre,
Mais non, par tous les Dieux !

Tu te meubles ensuite avec du « modern style »,
Tu tiens au genre anglais.
Tu préfères au beau, bien entendu, l’utile ;
L’ignoble seul te plaît.

Prends l’habit le plus laid et le plus incommode,
Non parce qu’il te va,
Mais fanatiquement parce que c’est la mode
Qu’un idiot rêva.

Ne travaille jamais, pour faire des épates,
C’est bon pour les feignants ;
Tu es trop délicat ; ne te sers de tes pattes
Que pour mettre des gants.


Pique-toi d’être en proie à la neurasthénie,
Car c’est fort bien porté.
Et soigne-toi d’autant pour flatter ta manie
Et perdre ta santé…

Mais hélas ! Cher lecteur, entêté comme un Corse,
Ce que je crains aussi,
C’est que précisément tu t’amuses à force
De te crever d’ennui.


R.P


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