.
.
FLEUR DE MODESTIE
.
.
Mon avis est bien simple !
Ceux qui cherchent à se tenir en dehors des institutions établies semblent par le fait même de leur attitude, y attacher plus d’importance que ceux qui ont la modestie de les accepter.
Zola*. Gaulois. 20 juillet
Mon avis est bien simple !
Ceux qui cherchent à se tenir en dehors des institutions établies semblent par le fait même de leur attitude, y attacher plus d’importance que ceux qui ont la modestie de les accepter.
Zola*. Gaulois. 20 juillet
.
.
Or, un jour aux Champs-Elysées
Le grand Balzac se promenait
Avec sa canne et ses pensées,
Lorsque devant un garçonnet
Rosé et frais comme un ver de vase
Et fourrant son doigt dans son nez
Il s’arrêta tout en extase,
Les yeux largement étonnés.
Ce garçonnet, chère lectrice,
Etait le tout petit Zola,
Qui jouait avec sa nourrice.
« Le charmant enfant que voilà !
- Dit-il - ô nourrice, ma mie,
Sa tête n’est pas dans un sac ;
Il sera à l’Académie !
C’est moi qui vous le dit, Balzac. »
Cela n’eut pas le don de plaire
Au futur auteur de Nana
Qui pleurnicha fort en colère :
« Je ne veux pas en être, na. »
A cette réponse superbe
L’écrivain tourna les talons
Tandis que le grand homme en herbe
S’oubliait dans ses pantalons.
* *
Balzac mourut quelques années
Plus tard, pauvre, comme il vécut.
L’enfant suivit ses destinées ;
Il entra d’abord au bahut.
On l’y frot’a de langue grecque
Et de latine mêmement;
Et quand il en sortit avecque
Son brevet… d’encouragement,
Son frère, ainsi que tous les pères,
Voulut en faire un épicier.
Tandis que le fils au contraire,
De tempérament moins grossier,
Et selon la loi de la nature,
Qui régit les fils, Dieu merci !
Ne réussit que littérature,
Un métier qui rapporte aussi.
Il eut raison. Le jeune Emile
Mit dans le mille tout d’abord,
Voire même dans le cent mille :
Il est vrai qu’il bûchait à mort.
Il écrivit livres sur livres,
Entassa Rougons sur Macquarts,
D’aucuns pesant bien quatre livres,
D’autres quatre livres trois quarts.
La fortune fut déroutante ;
On le lut jusques au Transvaal,
Et, sous le rapport de la vente
Georgeonet seul lui fit le poil.
Bref, il fut tout à fait célèbre
A l’heure où d’autres ne sont point
Encor sortis de la ténèbre,
N’ont pas même trouvé le joint.
L’âme blanche comme une hostie
Sous son aspect de ramoneur
Ce ne fut que par modestie
Qu’il accepta la croix d’honneur.
Satisfaction minuscule
Pour laquelle il n’eut fait un pas,
Et parce qu’on est ridicule
Aujourd’hui quand on ne l’a pas.
* *
A peu de là, l’Académie
Le voyant grandir en crédit
Chargea certaine vois amie
De le pressentir - comme on dit.
C’est Daudet qui fit le voyage.
Mais il se heurta contre un mur ;
A peu qu’Emile eut une rage
De trente degrés Réaumur.
« Comment, lui dit-il, c’est t’i traître,
Qui vient me parler de cela ?
Tu devrais pourtant me connaître :
Moi de l’Institut, oh ! La, la ! »
Et donc, le voyant prêt à mordre,
Alphonse de terreur saisi
Se replia dans un bon ordre
Non sans un dernier pensez-y.
* *
On lui dépêcha des duchesses,
Des dames Adam et Buloz,
Et autres vieilles pécheresses
Qui vinrent lui chanter son los.
Il le reçut comme des quilles
Qui tombent dans un jeu de chiens
Les renvoyant à leurs béquilles,
A meurs académiciens.
On fit donner sa vieille garde,
C’est-à-dire Paul Alexis.
Mais du premier mot qu’il hasarde..
Zola lui remplit le coccyx.
« Tu quoque, Brute ? triple brute,
Qui t’as fait ici demander ?
Fous-moi le camp à la minute,
Et ne reviens plus m’emmerder.
« Sache bien que je considère
Comme indigne de moi, Zola,
La visite réglementaire
A tous ces vilains oiseaux-là.
« Me vois-tu faisant antichambre
Chez Loti ? Croquant le marmot
Chez Bourget, ce tout jeune membre ?
Jamais. Tel est mon dernier mot. »
A cette dernière défaite
L’Institut fut très embêté,
Ils croyaient bien la chose faîte
Ayant Alexis député.
Qu’il était têtu, tout de même !
Et difficile à raccrocher !
L’un d’eux, comme moyen extrême,
Proposa de l’aller chercher.
« Que diable, ça n’est pas la règle
De la maison, dit le doyen,
Mais enfin, pour avoir cet aigle,
Et s’il n’est pas d’autre moyen…
Qutre tondus prirent la mouche,
Trois pelés firent : ta, ta, ta…
Pourtant après mainte escarmouche
L’avis du vieux l’emporta.
Et c ‘était le plus sage, en somme.
Il fut donc voté qu’on irait
En grand’ pompe chez le grand homme
Au premier beau jour qu’il ferait.
Ce jour vint. Ces messieurs quarante,
Qui n’étaient, or, que trente-neuf
( On ne sait pourquoi les quarante
Ne sont jamais que trente-neuf ),
Défilèrent à la parade
En habits verts. L’on eut dit d’un
Carré de persil en balade.
Ils extraordinaient chacun.
En tête, blême et taciturne,
Brunetière menait le train,
Ayant sous son bras, dans un verre,
Les cendres de feu Mazarin.
Bornier, prince de l’hyperbole,
Portait, sévère comme un dieu,
Les clés de la sainte Coupole,
Non sans tituber quelque peu.
A leur suite venaient Coppée
Avec le costume en cerfeuil,
Le duc d’Aumale avec l’épée,
Clarécie avec le fauteuil.
A la queue, un octogénaire
Je ne sais quel grammairien,
Portait le grand Dictionnaire,
C’est-à-dire ne portait rien.
C’est ainsi que l’un suivant l’autre
Et sans plus notable accident
Ils arrivèrent chez l’apôtre
Du Naturalisme, à Médan.
L’apôtre était en train d’écrire
Quand la bonne, tous huis ouverts,
Accourut bizarre, lui dire :
« Monsieur, c’est des généraux verts. »
Et quand il parut sur sa porte
Le doyen salua trois fois
Et tint le crachoir de la sorte :
« Grand homme, est-ce vous que je vois ?
« Oh ! Soyez notre quarantième,
Si vous avez pitié de nous.
La Grande Institute elle-même
Vous en supplie à trois genoux. »
Coppée alors, les mains offertes :
« Cher maître, daignez accueillir
L’habit aux belles palmes vertes
Qui vous gardera de vieillir. »
Et d’Aumale : « Voici l’épée !
Elle est ciselée avec goût,
En fine paille bien trempée.
N’allez pas vous blesser, surtout. »
« Et voici les clés de la cave,
Je veux dire de l’Institut,
Dit Bornier tâchant d’être grave,
De l’Institut, turlututu. »
« Et puis voici, dit Clarécie,
Nez à tribord et larme à l’œil,
O cher maître, ô notre Messie
Le quarantième fauteuil. »
Et dans ce fauteuil quarantième
Dont le velours l'a convaincu,
Zola, modestement lui-même,
Déposa son modeste cu.
.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
04 août 1895
.
.
Note : Zola tenta à maintes reprises de rentrer à l'Académie mais finit par y renoncer après des échecs répétés.
.
.
Note : Zola tenta à maintes reprises de rentrer à l'Académie mais finit par y renoncer après des échecs répétés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire