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On ne sait pas cracher
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En ce beau pays de France,
A quoi bon se le cacher,
De la Seine à la Durance,
Nous ne savons pas cracher.
Le beau sexe, encore passe,
Si justement réputé ;
Car il n’est rien qu’il ne fasse,
Pour ainsi dire, en beauté.
- Ainsi le dit dans son livre
De incertitudine…
Le vieux Cornelius ivre, *
Après avoir bien dîné.
L’eau dont sa femme se lave
- Ajoute le bon savant, -
Reste, loin qu’elle s’aggrave,
Aussi pure après qu’avant…
*
* *
Ainsi la femme salive
Comme elle sait se moucher,
Sans qu’elle soit répulsive ;
N’appelons pas ça cracher.
Quant à nous, les pauvres hommes,
Nous crachons dégoutamment,
En quelque endroit que nous sommes.
Ce nous est égal, vraiment.
Que j’erre ou que tu bivouaques,
Nous faisons, en vrais goujats,
D’invraisemblables cloaques
De salive et de crachats.
Les uns, c’est par gloriole
Qu’ils crachent, ou parti pris…
On irait en autoyole
Sur les trottoirs de Paris.
On voit des fumeurs de pipe,
Près de leurs pernods frappés,
Qui semblent vomir leurs tripes
Aux terrasses des cafés.
Que dire des asthmatiques,
Pituitants et catarrheux ?
Ils défient les statistiques,
Tellement ils sont nombreux.
Que dire aussi des microbes
Nés de tout ce crachement
Qu’avec leurs traînantes robes
Les femmes vont essaimant ?
Certains tirent de leur poche
Un mouchoir intermittent
Pour y déposer leur loche ;
Ce n’est pas plus ragoûtant.
Et donc, en définitive,
Nul ne sait expectorer
Le surplus de sa salive ;
Cela ne saurait durer.
Or, comme tout peut s’apprendre,
Aussi bien que le dormir,
Apprenons, dès l’âge tendre,
Le cracher et le vomir.
Et, dans un temps que j’ignore
D’exercice répété,
La plus vulgaire pécore
Saura cracher « en beauté ».
C’est le rêve chimérique
Que caresse en ce jourd’hui
Ce vieux docteur d’Amérique.
Décidément, n’y a qu’lui !
RAOUL PONCHON
le Journal
18 août 1904
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