21 sept. 2007

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LECONTE DE LISLE

Charles LECONTE DE LISLE meurt le 17 juillet 1894 * * *
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Ces jours derniers, la Mort immonde,
Aux tétons flasques, au nez bleu,
Transbahutait en l’autre monde
On ne sait quels gens sans aveu.

Rois et seigneurs sans importance,
Assassins, banquiers et voleurs,
Mille et quelques glands de potence
Fripouilles de toutes couleurs.

Pasteurs d’or et marchands de frimes
Moitié Bottin moitié Gotha
Chargés de beaucoup plus de crimes
Que le diable n’en inventa.

Et, fallait voir sa triste mine
En considérant combien peu
C’était une belle vermine
A présenter au Seigneur Dieu.



Il me faudrait un honnête homme
Pour bien faire dans le tableau,
Où c’est-y qu’elle se trimballe ?
A Paris, peut-être ? Mais où ?

Et longtemps, même davantage.
La Mort chercha chercheras-tu
Sans rencontrer sur son passage
Le plus terne prix de vertu.

Mais, comme la sinistre goule
Allait sans doute y renoncer,
Voici qu’au milieu d’une foule
Un être la fit grimacer

De joie. Oui, c’était le Sage
Qu’elle cherchait, en vérité,
Qui reflétait, sur son visage
Une telle sérénité !

Son regard aigu comme un glaive
Ne fixait que les seuls sommets,
Tandis qu’il marchait dans ce Rêve
Qu’on ne réalise jamais.

- « C’est bien l’homme » dit la camarde -
Qu’il me faut, et son jour a lui…
Ma foi, tant pis ! Que Dieu le garde ! » -
Elle s’approche donc de lui

Et lui mit la main sur l’épaule.
Et les voilà tous devant Dieu
Qui du Monde est l’extrême pôle
En même temps que le milieu.



- « Corps de moi ! C’est tous des canailles
Qu’aujourd’hui tu traînes ici -
Dit le Seigneur Dieu des batailles…
Excepté pourtant celui-ci

Qui d’une tête les dépasse,
Dis-moi qui est celui-ci ?
Ma vue est de plus en plus basse…
- « Ca, c’en est un que j’ai choisi,

« Je ne sais comment il se nomme,
Dit la Mort, mais rien qu’à le voir
Il me fait l’effet d’un brave homme ;
Toi qui sais tout, tu dois savoir… -

- « Bien sûr, espèce d’imbécile,
Je le reconnais maintenant :
C’est mon fils, Leconte de Lisle -
Lui répliqua le Permanent.

« Que si pour une fois, madame,
Vous choisîtes un bienheureux,
Il faut avouer, sur mon âme,
Que vous avez eu le nez creux.

« Mais il fallait le laisser vivre
Encor pendant plusieurs printemps,
Il eût pu faire encore un livre
Plein de poèmes éclatants ;

Car c’était un noble poète,
Un de mes élus, dont les vers
Glorifient mon œuvre imparfaite,
Parachèvent mon Univers ;



« Il m’aimait peu… pour quelles causes ?…
Je n’en éprouvais nul émoi…
Quand on écrit de belles choses
C’est comme si l’on m’aimait, Moi. -



Raoul Ponchon


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