21 sept. 2007

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La Perfection même
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« … Moi, monsieur, je souffre tant que je crois mon œuvre inachevée. Ca n’est jamais assez fini, il me semble qu’il y manque toujours quelque chose. Mais quoi ; je ne sais plus, alors ça me fait souffrir !…

BOUGUEREAU
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(extrait d’une interview. Echo de Paris, 8 mai.)
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Or, le peintre pour andouilles,
Ou mieux… monsieur Bouguereau,
Dit, en tracassant ses douilles
Du manche de son blaireau :

« Que l’art est donc difficile !
Oh ! oui, qu’il l’est, le cochon !
Je parle de l’art à l’huile
Où je m’exerce, ô Ponchon !

« De l’art excellent, suprême
Dont encor, moi, Bouguereau,
Moi la perfection même
J’ignore le numéro.

« Ainsi, vois cette Madone
Qui sera plus tard Vénus,
Si toutefois je l’ordonne,
A moins que ce soit Bacchus,

« Est-ce de l’art en ribote
Ca, comme en font ces messieurs ,
Qui vous râpe, vous rabote
Les mains ainsi que les yeux.

« Non, je lèche, je fignole
Et je ponce mon tableau.
Est-il plat comme un sole ,
Je te le passe au rouleau.

« Car ça n’est pas de sculpture
Que je prétends accoucher.
Touche-moi cette peinture :
- Oh ! Va, tu peux y toucher -


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« C’est doux comme une pommade,
C’est une crème, un sirop,
Un jus, une rémolade :
En quoi c’est , on ne sait trop.

« C’est gentil, voilà, c’est rose
Comme un derrière d’enfant ;
A côté tout autre chose
Semble être en peau d’éléphant.

« C’est un émail magnifique
Aussi poli qu’un miroir ;
C’est une onde pacifique
Où dedans l’on se peut voir.

« On ne saurait davantage,
N’est-ce pas ? Pousser plus loin
L’art exquis du blaireauter :
Il est mon unique soin.

« Eh bien ! monsieur, cette tête
Si belle en son cadre en or
Et qui vous semble parfaite ?…
Elle ne l’est pas encor,

« il y manque quelque chose,
Je le sens. Mais quoi ,… voilà,
Et ça me fout la névrose…
Que dites-vous de cela ? »

Je lui répondis : « Cher maître,
Vous n’en viendrez pas à bout ;
Si vous voulez me permettre…
Il y manque à peu près tout. »

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Raoul Ponchon
le Courrier Français -19 mai 1895
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