25 sept. 2007

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Poil et plume
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1891 - Emile Bergerat et Maurice Montégut ont conçu le projet de réunir des oeuvres d'écrivains pour une exposition originale et fantaisiste intitulée Poil et plume montrant que les gens de lettres étaient capables de tenir non seulement la plume, mais aussi le pinceau et l'ébauchoir.
Outre les disparus… Hugo, Gautier, Musset, Mérimée, Baudelaire, Nerval, Jules de Goncourt dans une partie "Louvre", les contemporains étaient réunis dans une partie "Luxembourg"… Fernand Calmettes, Clovis Hugues, d'Esparbès, Bergerat, Edmond de Goncourt, Haraucourt, Houssaye, Lemonnier, Meilhac, Mirbeau, Verlaine et … Ponchon…

Blaguez, blaguez toujours, messieurs de la peinture,
Devant les toiles que voici ;
Sur elles, exercez votre littérature,
Nous nous en foutons, Dieu merci.

Si notre coup d’essai n’est pas un coup de maître,
Que voulez-vous ? Tant pis pour lui.
Nous faut-il pour cela jeter par la fenêtre ?
Plus tard, oui, mais pas aujourd’hui.

Vous qui peignez toujours avec furie,
Je vois bien vos Charles Durandt,
*
Je compte vos Bonnat *, mais où sont, je vous prie,
Vos Vélasquez et vos Rembrandt ?

Lorsque timidement vous parlez de peinture,
Vous nous répondez Bouguereau
Qui croit que l’art consiste à lécher la nature
Avec des brosses de blaireau ;


Nous répliquons Franz Hals et vous dîtes cimaise
Et médaille, à votre loisir,
Deux vocables fameux de la langue française
Que vous ne laissez pas moisir.

Dans votre Champs de Mars et vos Champs-Elysées
Vous faîtes grand, voire géant ;
Mais quoi ! plus vastes sont vos toiles exposées,
Plus apparaît votre néant.

Voilà pourquoi lâchant notre muse amoureuse
Pour laquelle monsieur Aicar
*
Nourrit une (dit-on) passion malheureuse
Nous font nous-mêm’ nos tableaux, car

Tout homme a dans son for un peintre qui sommeille,
- Pardon, - je veux dire un cochon ;
De sorte que parfois ce peintre se réveille
Et ce cochon, c’est Lobrichon

Ou n’importe. Et voilà le désastre suprême !
Il salit tout, il fait partout ;
Mais lorsque le cochon se réveille en moi-même,
Ce n’est pas dangereux du tout.


Peignant pour le plaisir et non pas pour la gloire,
Je n’ai d’ailleurs que peu d’instants
A consacrer à la peinture puisque boire
Me prend le plus clair de mon temps.

Demain je sortirai pour l’y remettre encore
Ma guimbarde de son étui
Et je la râclerai, comme ça, dès l ‘aurore
Pour bercer un temps mon ennui ;

Et je vous chanterai, peintres, et votre père
Bonnat, votre Esprit-Saint Jacquet
Que je ferai rimer encore, je l’espère,
Plus d’une fois avec paquet.

Ou bien, abandonnant peinture et poésie
Comme d’indignes oripeaux,
De faire des chapeaux, s’il me prend fantaisie.
Eh bien, je ferai des chapeaux.


*
* *



En attendant, messieurs, mes amis et moi-même
Nous peignons du matin au soir
En faisant plus mauvais que vous (sombre problème).
Maintenant, allez vous asseoir.

En retour vous pouvez, si cela vous amuse,
Manier le vers triomphant,
Mais chaque fois que vous biscoterez la muse,
Tâchez de lui faire un enfant…

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Raoul Ponchon

1891

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