19 sept. 2007

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Où l’auteur prétend
qu’il n’y a pas de bons cigares
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J’entends parfois des gens me dire : Voulez-vous
Fumer un excellent cigare ? -
A quoi je leur réponds : Malheureux, pauvres fous,
Le dieu du tabac vous égare !

Mais, tristes métiers que vous êtes, sachez
Qu’il n’y a pas de bons cigares ;
Que vous n’en trouveriez pas plus chez les Natchez
Que chez les Turcs ou les Bulgares ;

Que le rupin Rothschild ou tout autre crétin ;
Quand ils les paieraient cent francs pièce,
N’en pourraient que fumer de quelconques… Mâtin !
Si ceux-là pas ?… alors qui est-ce ?

Personne, je vous dis, personne, entendez-vous :
Lisez-moi pour votre gouverne
Ce petit récit-ci que voici ci-dessous
Et qui n’est pas du Jules Verne :

Il est en Amérique un pays merveilleux,
Couleur de joie et de lumière ;
Une flore ineffable y dorlote les yeux,
Faîte de rêve et de chimère.

Je veux de cette flore unique, pour l’instant
Retenir cette seule chose :
Une plantation de tabac l’emportant
Sur les autres, comme une rose

Fait sur un bran, comme un noble sur un grimaud.
Cette plantation superbe
Contient cent mille pieds de tabac, au bas mot,
Ca n’est pas une touffe d’herbe

Ainsi que vous voyez, mais bien assurément
Une forêt non des plus maigres ;
Des nègres par milliers sous le clair firmament
Y travaillent comme des … nègres.

Or donc, parmi ces pieds de tabac, au milieu,
S’en trouve un de plus pure essence
- Comme s’il dût fournir le tabac du Bon Dieu -
Et de plus de magnificence ;

Sur ce pied une feuille indiscutablement
Plus admirable que les autres ;
Palme telle que je n’en peux voir qu’en dormant,
Dans ces rêves qui sont les nôtres.

Que vous dirai-je d’elle ? Elle en or bruni,
Toute de soleil imprégnée,
Vous pensez qu’elle exhale un parfum infini,
Qu’elle est d’avance désignée ?

Cette feuille est bientôt changée en un mégot
Digne de la lyre d’Orphée
Semblerait-il d’abord ? puisque mon saligaud
Fut roulé par des doigts de fée.

Ce cigare, l’on croit que c’est môssieu Rothschild
Qui se le paie et se l’allume ?
Enfants ! quelle erreur est la vôtre ! my dear child,
Sachez que c’est moi qui le fume.

Eh bien, me direz-vous, sans doute il est parfait ?
Et doit vous coûter plus d’un noble ?
Bah ! Il est bon au plus pour un très sous-préfet,
Il est ignoble ! il est ignoble !!!




Raoul Ponchon
1893

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