21 déc. 2009

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JE EST UNE AUTRE
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Vu, l’autre jour, au Figaro
Un spectacle assez bizarro.

C’était, on eût dit, une fille,
C’étaient plutôt deux jeunes filles,

Que leur mère en naissant coiffa
Du nom de Rosa-Josepha.


Elle sont deux et pourtant une,
Ayant une hanche commune,

Quatre mains, ah ! macach’ bono !
Pour taper sur un piano.



Quatre guibolles pour danser,
Deux bouches pour boire et manger.


Mais voilà bien le plus hideux,
C’est qu’elles n’ont à elles deux

Qu’un très vague pertuis pour faire
Précisément tout le contraire.

Nom de Dieu ! messieurs, c’est bien peu.
Enfin on fait ce que l’on peut !



Ce monstre est peut-être bizarre,
Mais je sais des choses plus rares.

N’est-il pas plus intéressant
De voir les monstrueux passants ?

N’ont-ils pas plus ou moins deux têtes ?
N’ont-ils pas des muffles de bêtes ?

Les uns sont aux trois quarts chevaux
Et les autres sont presque tout veaux.

S’ils n’ont que deux pieds, c’est bien triste,
Mais, comme le vers symboliste,

Un pied de plus, un pied de moins ?
Qu’ça fout ? C’est selon le besoin.

Les lourds critiques, Dieu me damne !
N’ont-ils pas des oreilles d’âne ?

Sans cependant entendre rien
A quoi que ce soit de chrétien.

Et, ne voit-on pas que des gens !
Même des plus intelligents

Qui portent comme par gageure
Leur derrière sur leur figure ?


Combien d’autres, encore enfants,
Ont déjà des pieds d’éléphants.

Et, afin que nul ne s’y trompe
Au lieu de nez ont une trompe.

Hélas ! chez ces estropiés
Combien d’haleines suent des pieds !

Que de pieds ont la forte haleine !
Dieu le veut ainsi, Christ nous mène.

Seigneur ! ayez pitié de nous,
Je vous supplie à trois genoux.


*
*..*

Bref, pour un homme véritable,
Une tête à peu près sortable,

Un visage heureux, folichon,
Combien de gueules de cochons !



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
07 juin 1891
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