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ARBRES SANS OISEAUX
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En certains quartiers Paris,
Une sombre tristesse
Vous a-t-elle pas souvent pris,
En voyant la détresse
De malheureux arbres privés
De leur verte parure,
Et dont il ne fut conservé
Que la stricte membrure ?
Ils sont, encore que vivants,
Si veules et si glabres,
Qu’ils nous semblent de décevants
Et piteux candélabres.
Ils dressent leurs pauvres moignons
Qui vers le ciel témoignent…
Ce ne sont plus que des trognons
Dont les oiseaux s’éloignent.
Si l’on demande à nos messieurs :
- « Et pourquoi cette rage
Contre ces arbres précieux,
Qui préfèrent l’orage ? »
Ils vous répondent à cela :
- « Hé ! ne vous en déplaise,
Si l’on laissait ces gaillards-là
S’épanouir à l’aise,
« Ils airaient tôt fait d’envahir
Nos immeubles, nos rues…
Au point qu’il nous faudrait les fuir,
De leurs branches bourrues,
« Qui poussent à tort, à travers.
Alors, on les élague
De leurs superflus rameaux verts,
Dont le geste extravague.
« S’ils n’ont l’air de rien pour l’instant,
Dans quelques trente années,
Ils auront un galbe épatant,
Les foules étonnées,
« Et reconnaissantes aussi,
Nous devront cet ombrage.
Comprenez donc notre souci,
Admirez notre ouvrage !…
Je comprends, mais sans admirer
La taille de vos arbres,
Il faut autant les révérer
Que l’on fait les beaux marbres.
Je veux bien que, de temps en temps,
On fasse leur toilette,
Mais de tels arbres bien portants
Vous faîtes des squelettes.
C’est même là tout le procès.
C’est là votre délire :
Afin d’éviter un excès
Vous tombez dans un pire.
Et puis quoi ! peste soit de vous,
De ce futur ombrage !…
Occupez-vous un peu de nous
Qui sommes de votre âge.
Faut-il suer comme des bœufs,
Sous un soleil sans nombre…
Afin que nos petits neveux
Puissent louper à l’ombre ?
RAOUL PONCHON
le Journal
27 mai 1912
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