21 sept. 2007

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Le Conseil Municipal n’a pas la trouille
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Eh bien, vous n’avez pas la trouille,
O conseillers municipaux !
Est-ce donc du jus de grenouille
Que vous aimez au fond des pots ?

Etes-vous des buveurs d’eau claire ?
Le vin vous indiffère-t’il ?
Vous fichez-vous de votre blaire ?
- Ca qui ne serait pas gentil -

Ou bien, par extraordinaire,
N’avez-vous jamais remarqué
Combien un vin originaire
Diffère d’un coin du quai ?

Allons donc, édiles espiègles,
Vous la connaissez dans les coins,
Sans être assurément des aigles
Si je m’en fie à vos coins-coins.

Vous me ferez jamais croire
Que vous ne passez pas le temps,
Pochards que vous êtes, à boire
Un vin pur comme le printemps.

Oui, sur vos plantureuses tables
Je suis bien certain qu’on vous sert
Les vins les plus discutables
Et des mets allant de concert.

Vous savez que la bibinasse
Que vous appréciez si fort
Avec la plus humble vinasse
N’offre pas le moindre rapport ;
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Que le vin c’est bien autre chose,
Qu’il naît au soleil, dieu merci !
Sur nos belles collines roses,
Non dans les caves de Bercy ;

Qu’il est la liqueur d’excellence
Que Dieu, pour lui faire plaisir,
Donne à son cher pays de France ;
Qu’il est encore l’élixir

Dont Bornier quand il est pompette
Fait une rime à jus divin ;
Qu’il est le seul breuvage honnête ;
Enfin que le vin c’est le Vin,

C’est dire magnifique à boire !
Et que lui seul peut - c’est écrit -
Figurer dans le Saint Ciboire
Le sang divin de Jésus-christ !

Donc, défendre cette chimie
Que vend le bistro d’à côté,
C’est là pure cacochymie,
Crétinisme, imbécillité.

Quand par le mastroquet lui-même
Vous êtes dûment averti
Que son vin reçut le baptême
Et n’est nullement garanti ;

Quand vous savez, sombres canailles,
Aussi bien que moi, pauvre moi
Dont se révoltent les entrailles,
Que grâce à ce fameux octroi,





Objet d’universelle envie,
Le plus pâle petit vin bleu
Déjà n’entre qu’à peine en vie
Dans notre cité, nom de Dieu !

Mais si l’on vous connaît, bons apôtres,
Si vous n’en coulez pas pour vous
Vous le trouvez bon pour les autres ;
Nos gosiers ne sont pas si fous.

Ah ! Ce vin de malheur, bagasse !
Je voudrais que vous en bussiez
Jusqu’à ce que vous demandent grâce
Vos estomacs suppliciés.





Raoul Ponchon
le Courrier Français - 31 mars 1895
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