28 sept. 2007

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L’AVIATEUR
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Qui se souvient de Jules Védrines * un des pionniers de l’aviation française surtout connu parce que son Caudron s’est un jour posé sur le toit des Galeries Lafayette ? Vainqueur de la course Paris-Madrid et de la Gordon Bennett, il s’est aussi rendu populaire en se présentant à la députation, effectuant sa campagne électorale avec son avion, se posant de village en village et en organisant ses meetings politiques dans les champs… C’est le sujet de cette gazette….



Pendant un instant nous te crûmes
Perdu pour l’aviation,
O Védrines ! Dompteur de brumes,
Sans profit pour la nation.

Fort heureusement, on peut dire,
Que les citoyens de Limoux
N’ont pas daigné tretous t ‘élire :
Tant mieux pour toi, tant mieux pour nous.

Ce n’est pas que la politique
Soit très mystérieuse en soi ;
A défaut quelque pratique,
Il y suffit d’avoir la foi.
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Mais, Seigneur, qu’est-ce qu’il se passe
Dedans ta cervelle… d’oiseau ?
O Védrines ! roi de l’Espace,
Je la crois taillée en biseau.

Enfin, quelle mouche te pique ?
Quand on est aviateur,
Se tracasser de politique,
C’est ne pas être à la hauteur.

Hélas ! Sombrer dans cette mare,
Ou grenouillent tous ces messieurs,
Et préférer leur tintamarre
Au silence délicieux !

Pouvoir, en toute plénitude,
Par delà les mers et les monts,
Jouir d’une âpre solitude,
Respirer l’air à pleins poumons !

Et te mêler à la cohue
De nos législateurs en cours,
Laquelle tohue et bohue
A rendre des aveugles sourds !


Faire du cent cinquante à l’heure,
Quand on veut, le cas échéant,
Et croupir dans cette demeure,
Ou s’agite le seul néant !

Dompter le Vide et le Vertige,
Dépasser les aigles au vol,
Et rêver d’être, sur sa tige,
Une fleur attachée au sol.

Connaître les forêts superbes,
D’en haut, et les jardins tapis,
Tout ainsi que les touffes d’herbes,
Et vouloir fouler les tapis !

Au lieu d’aimer, sur les collines,
La Terre chantant sa chanson,
Aimer mieux la note orpheline
De la sonnette de Brisson !

Quand on a le Soleil, la Lune,
S’enfermer entre quatre murs !
Et ne monter qu’à la tribune
Quand on peut monter vers l’Azur !

Bref, quelque chose se dérègle,
O Védrines ! dans ton cerveau ;
Et tu me fais l’effet d’un aigle
Qui voudrait devenir un veau !




R.P
le Journal
25 03 1912

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