20 sept. 2007

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La Mer élégante
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Un petit endroit
Veule, maladroit,
Où s’en va tout droit
La plus haute gomme,
Bref, ça que l’on nomme
Généralement
Un endroit charmant.
Des hôtels hostiles
Au premier abord,
Au second rabord,
Sous tous les rapports ;
Des villas sans style
- Tels des coffres-forts -
Qui l’une sur l’autre,
S’écroule, se vautre,
Se prend corps à corps ;
Une grande rue
Qui sent la morue,
Le musc, le cambouis,
L’alcool de bouibis.
Et dans cette rue,
De pleins magasins
De produits voisins
Molletons, flanelles
Conventionnelles,
Sauces, caoutchoucs
Et cannes en chous,
Des saloperies,
Des cochonneries,
Corned-beef et gin…
God save the queen !…
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Ailleurs, vers le sable
La gent haïssable
Des totos, des tatas,
Qui ne voient le sable
Qu’en trous ou en tas ;
Tout un déballage
D’Anglais, de rastas,
Gens de tout pelage
Et de tout plumage ;
Les jeux de la plage;
Crockets, lawn -tennis,
Joués par des miss
Qu’a le cheveu jaune,
La dent a tant l’aune ;
Ragots et potins,
Gogos et putains ?
Jeunes gigolettes
Changeant de toilettes
Onze fois par jour,
Vieux messieurs autour,
Matrones fripées
Et poires tapées
Qui leur font la cour…


La cloche qui sonne…
Ah ! C’est le dîner !…
On ne voit personne
Se trop patiner.

………………

Une table d’hôte
Où l’on a sans faute
Des poissons pourris
Retour de Paris.
Des viande sans sexe,
Légume connexe,
Des fruits à l’instar,
Du vin ? Un nectar
Qui ferait, ma chère,
Mieux dans ton derrière
Comme lavement
Que bu autrement.
Ce n’est rien encore,
Car ce qui décore
Cet endroit chocno
C’est le Casino ;
Concert et théâtre
Et petit chevaux,
Amusoir des veaux ;
Vieilles opérettes
Depuis longtemps blettes.
Opéras ridés
Opérés par des
M’as-tu-vu d’occase,
Des ex du Gymnase,
De sous-Galipaux,
D’antiques Yvettes,
De fausses divettes,
Morts sous les drapeaux,


Mais m’allez-vous dire ;
- Ca, c’est du délire ;
C’est bien. Et la mer ?
Quoi donc vous en faîtes ?
- La mer ! Ah ! La mer !
C’est pour d’autres fêtes !
Ca, la mer ? ah ! mer…





Raoul Ponchon
1893



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