19 sept. 2007

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Demain
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Il faut toujours remettre au lendemain
Ce qu’on ne veut pas faire la veille.
(Sagesse des nations.)
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A quoi bon aujourd’hui faire
Ce qu’on peut faire demain ?
Pour mon compte je préfère
Ne travailler que demain.

Je ne ferais rien qui vaille
Aujourd’hui, je me connais.
Oui, mais demain je travaille
Autant que trois Jorjhonets.

Que la tour Eiffel m’écrase
Si ça n’est pas vrai, demain,
Que finalement je rase
Le poil que j’ai dans la main.

Ce sera tout bénéfice
Le travail demain : d’abord
Il se pourrait que je fisse
Un chef-d’œuvre, sans effort.

Tout me sera plus facile,
Attrayant, et bon et bel ;
La rime viendra docile
Se ranger à mon appel.

Car, si des mieux combinées
Qu’elles paraissent, Demain
Turbule nos destinées
D’une négligente main.

Car Demain est la ressource
De la pauvre humanité,
C’est l’inépuisable source,
C’est presque l’éternité !

C’est on ne sait quoi de rare,
De rare et de précieux,
D’inattendu, de bizarre
Qui doit vous tomber des cieux.

Au naufrage de la vie
C’est un fortuné radeau
Avec la table servie,
Qui va vers l’Eldorado.

Demain, c’est l’espoir, le rêve
Et le recours des maudits,
La faim qui se met en grève
Et qui déserte les taudis ;

Demain sur toutes les places
C’est, dans Paris comme ailleurs,
Un vin coulant des Wallaces
Choisi parmi les meilleurs ;

Un tas de gros lots féeriques
Pendant au nez des bons fous
Et des poètes lyriques
Comme un sifflet de deux sous ;

C’est les dieux qui les absolvent
Du péché du premier-né
Et qui d’un geste résolvent
L’X absurde du dîné ;

Demain, c’est aussi Jouvence,
Et l’élixir Brown-Séquard
Qui vous rajeunit la panse
En une heure, une heure et quart ;

C’est le livre de génie
Dont j’ai le plan tout tracé
Et qui grouille d’harmonie,
Mais qui n’est pas commencé ;

C’est ma femme qui divorce ;
Ma belle-mère qui meurt ;
C’est vivre ainsi sans entorse
Et sans le plus léger heurt ;

Demain, c’est dame Fortune
Qui se risque en mon réduit,
Et, tel un rayon de lune,
Sera là, vers les minuit.

C’est l’éternelle Promise
Qu’on ne cesse d’appeler,
La Vérité sans chemise
Que Demain ouïra parler.

Ainsi donc, aujourd’hui, comme
Il me semble surhumain
D’écrire une ligne, en somme,
Je gazetterai demain.

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Raoul Ponchon
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