20 sept. 2007

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SNOBISME
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Certains Parisiens,
Des purs, des anciens,
Et qui virent le jour
Soit à Saint-Flour,

Soit à Pontoise, à Brive,
Voire à Tananarive,
Les vrais, quoi, les esthètes,
Les fortes têtes,

Ceux qui sont revenus
De tous pays connus
Et sans jamais avoir
Eté les voir,

Et dont le cœur s’exalte
Seulement sur l’asphalte,
Et s’emplit d’amertume
Loin du bitume,

Ont pour vous des pitiés
Pour peu que vous quittiez
Aux mois de chaleur
Paris, le leur !

Ils sortent de sa gaine
Cette vieille rangaine
Ebrêchée et que souille
Une âpre rouille

« - Vous ne connaissez point
Le vrai Paris, à point,
Si n’y avez été
Pendant l’été.

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« Automne ? Hiver ? Sans doute.
Et printemps ? Je t’écoute,
Mais l’été c’est le rêve.
C’est notre élève ! »

Ils ouvrent un grand bec,
Et vous disent avec
Des larmes dans la voix :
« Le bois, le Bois !

« Rien n’est plus poétique
Plus aristocratique
Que le Bois de Boulogne,
Et, qui qu’en grogne,

« Il n’est de vrai Paris
Que passé le Grand Prix :
On n’est plus des anchois,
On est de choix ;

« Ca n’est plus dans les rues
De ces poules bourrues
Qui tous arrêtent, rasent,
Et vous écrasent ;

« Ce ne sont que rêveurs,
Que délicats viveurs
Remplis d’aménité,
D’urbanité.

« Chaque être qu’on coudoie
Est un que l’on tutoie,
Un ami en ballade,
C’est un Pylade.


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« On se trouve entre soi,
Et cela se conçoit :
Tous les snobs sont partis.
Ils sont partis

« A la mer… la campagne…
(Que Dieu les accompagne)
Dans la belle nature,
Dans la verdure !

« La campagne ! oh ! là, là!
Le beau lot que voilà !
Des vaches, des moutons,
Des
margotons
,

« Du fumier et des poules,
Des oignons, des ciboules,
Du foin, de la luzerne,
Et du pain terne,

« Des oiseaux embêtants
Qui gueulent tout le temps,
Des paysans grossiers
Et tracassiers.


Et quand il pleut, en outre,
Qu’est-ce qu’on peut y foutre ?
Frapper de ses élytres
Contre les vitres ?…

« Et de même, la mer ?
C’est toujours la même air
Et le même tableau :
De l’eau, de l’eau !


« Et sous le ciel prolixe
L’horizon ! barre fixe,
Immuable, éternelle,
Sempiternelle ;

« Autant se rincer l’œil
Avec le pont d’Auteuil,
N’avoir pour horizon
Qu’une prison… »



Ainsi, dans leur sagesse
(Une vieille gonzesse),
Tous ces blanchis à tondre
Vont vous confondre ;

Tous ces Parisiens,
Les purs, les anciens,
Ceux qui virent le jour
Soit à Saint-Flour,

Soit à Pontoise, à Brive,
Voire à Tananarive,
Les vrais, quoi ! les esthètes,
Les fortes têtes ;

Ceux qui ne sont pas snobs,
Qui ne sont non plus jobs
Indignes de rachat…
Non, c’est le chat.


RAOUL PONCHON

le Courrier français
1895

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