22 sept. 2007

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C’est cela que fut John Lemoinne *
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Dites-moi, messieurs, je vous prie,
Si la Presse aujourd’hui n’est pas
Une infâme saloperie
Sans loi, ni règles ni compas,

Oui, je dis que les journalistes
D’autrefois étaient des penseurs
En même temps que des artistes ;
Ils sont maintenant des farceurs.

C’est à peine s’ils pourraient faire
Des employés de chez Godchaux.
*
Jadis, c ‘était une autre affaire
Ils avaient tous leurs deux bachots.


Avant de pondre leurs articles
En écrivains consciencieux
Ils chaussaient d’abord leurs bésicles
Et prenaient à témoins les cieux ;

Ils fouillaient les bibliothèques,
Amassant mille documents ;
Ils apprenaient les lettres grecques,
Les latines pareillement.

Du temps où je n’étais encore
Chargé par mon pauvre Buloz,
*
- En ma qualité de centaure -
Que de ses courses et du gaz.

Ils tournaient sept fois, je présume,
La langue dans leur encrier
Avant que de prendre la plume
Et travailler de leur métier.




Avant que d’écrire une ligne
En un style définitif,
Admirable, pur comme un cygne,
Bien que forcément très hâtif

Alors, pour l’esprit quelle fête !
Vous eussiez dit du Bossuet :
C’était de l’ouvrage bien faîte
D’où, à pleins bords, le Beau suait.

De même, allaient-ils au spectacle
Voir un acte de Pailleron ?…
*
Ils potassaient d’abord Sophocle,
Et Shakespeare et Caldéron ;

Et cet acte fut-elle écrite
En un pur patois esquimau,
Ils la voyaient vingt fois de suite
Avant de s’en permettre un mot…

Jadis, au lieu de dire en hâte
Un incendie, un crime en fleur,
Ils piochaient leur Erostrate,
*
Ils apprenaient Troppmann par cœur, *

Ils mettaient au moins trois semaines
A rédiger un fait divers ;
A cette heure c’est par centaines
Et par jour, que l’on nous les sert.

Adieu le travail, zut au style,
Bonsoir la conscience, tout…
Le style est un luxe inutile
Et la conscience, on s’en fout.

*
* *


J’en sais qui, flânant par les rues
Depuis le matin jusqu’au soir
Le nez au vent, béant aux grues,
Font des vers sans même s’asseoir.

D’autres qui dans les brasseries
Entre leur bouffarde et leur bock
Vous écrivent des âneries
Sur l’anarchie ou le Maroc ;

Ceux-ci vous feront leur copie
Au carrefour des écrasés,
Sans souci qu’on les estropie…
Les insensés ! Les insensés !!

…………………………

Mais si les journaux sont immondes
Ma Revue est de bon aloi
Je dis : la Revu’ des Deux-Mondes…
*
LE CHŒUR
Je ne la lis jamais.



Raoul Ponchon
( ni moi )


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