16 févr. 2022



MARCHÉ D'IVROGNES
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La Terre est faite pour tourner 
Puisqu’elle tourne ; 
Le maquereau pour arriver 
Puisqu’il arrive. 

As-tu jamais vu un ivrogne 
Dire : j’ai trop bu. 
Tu me verrais plutôt moi-même 
Boire de l’eau. 

Entends-tu mes cheveux qui frisent 
Dessus mon front ? 
Entends-tu aussi dans ma bourse 
Hurler le diable ?

Va, tu ne peux rester en place, 
Puisque tout marche ; 
Si tu n’as pas de pieds, peut-être 
As-tu des mains ? 

Si tu n’as pas de mains non plus 
Va te promener ; 
Tu vois que de toute manière 
Il faut aller. 

Tu ne t’arrêteras, te dis-je, 
Que pour mourir ; 
Même tu bougeras encore 
Dans ton tombeau.


Quand tu mets dans une bouteille 
Des hannetons, 
Les canards viennent la pousser 
Avec leur bec.

Certes, si tu tombes toujours 
Au même endroit, 
Tu finiras par faire un trou
 Pour l’enterrer. 

Mieux vaut être mort que pas né, 
Vivant que mort : 
Quand on est vivant l’on va boire 
Car on a soif.
 
On a soif, et voilà pourquoi 
La Providence 
A pris soin de mettre partout 
Des ’chands de vins. 

Le plus beau geste de la terre 
Est de porter 
Un verre de vin à ses lèvres : 
Chacun sait ça.

Cours, le nuage ne s’arrête 
Que pour pleuvoir. 
Ivrogne, que si tu t’arrêtes 
Ce soit pour boire. 


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français 29 janv. 1888 .
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