4 févr. 2008

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FERMETURE DES CERCLES
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Il vous sied bien, tas de fourneaux,
D’exercer vos sombres sévices
Sur nos passions et nos vices !
Et du haut de quels tribunaux ?
Qu’est-ce que cela peut vous faire
Que l’on joue ? Est-ce votre affaire ?
Si vous nous fermez les tripots,
Maisons de jeux, cercles et bouges,
Nous vous tirerons vos chapeaux,
Et nous irons chez les Peaux-Rouges.
Nous laisserons là ce magma
Que vous nommez la République.
Nous irons vivre en Panama,
Ou trembler à la Jamaïque.

* ...*

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Accablez-nous sous vos impôts
A chaque instant, à tout propos.
Tenez pour ainsi dire, en laisse,
Mes revenus et ma noblesse,
Mes terres, je vous le permets…
Puis-je me soustraire jamais
A votre puissance funeste ?
Prenez la moitié de mon bien.
- Puisqu’aussi bien je n’y peux rien -
Mais laissez-moi jouir du reste,
Comme je l’entends, nom de Dieu !
Est-ce que cela vous regarde
Si je fréquente un mauvais lieu ?
Vous n’êtes pas ma sauvegarde.
Mettons, que, pour mon malheur, je
Sois un fanatique du jeu.
Et que j’y risque ma fortune
Jusques à la dernière thune.
Vraiment, je vous demande un peu
En quoi cela vous importune ?
Vous me direz : Mais, pauvre fol,
Sache que le jeu n’est qu’un vol.
Y fis-tu jamais gain quelconque ?
- Jamais, c’est vrai . - Tu vois bien donc que
C’est pour ton bien que nous fermons
Ces cercles où d’affreux démons
Te pressurent comme une éponge…


- Qu’à cela ne tienne, répondis-je -
Vous vous montrez trop soucieux
De mes intérêts , chers Messieurs.
Il me chaut peu que l’on me floue, *
Est-ce pour gagner que je joue ?
On me vole je le vois bien,
Et cela m’amuse, oh combien !
Heureux, d’ailleurs, celui qu’on vole
C’est donc qu’il peut être volé.
Jésus, prince des paraboles,
N’a jamais autrement parlé.
Ah ! Messieurs de l’assiette au beurre,
Au contraire, vous devriez,
Si vous étiez bons ouvriers,
Comme on dit de la dernière heure,
Au lieu de fermer les tripots,
En multiplier de nouveau,
Exciter leurs incontinences…
Vous embelliriez vos finances,
Oui, dis-je, loin de les fermer.
Vous feriez mieux les affermer ;
Un fleuve incessant de bank-notes
S’écoulerait de vos cagnottes,
Et chacun serait consolé,
Le voleur comme le volé.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
Le 24 janv. 1907
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