30 janv. 2008

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CHEZ LE COMMISSAIRE
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Ces jours-ci, au même commissariat de police,
six maris
trompés sont venus se plaindre.
(Journaux)


L’autre jour, chez le commissaire,
Se précipitaient six bourgeois,
L’air terriblement en colère,
Et poussant des cris de putois.
« Dites-moi ce qui vous amène,
- Dit le terrible ami des lois, -
Mais, afin que je vous comprenne,
Ne parlez pas tous à la fois. »

Alors, le premier, par rang d’âge,
Prit la parole et dit : « Voilà !
Je revenais d’un court voyage,
Heureux de revoir ma smala,
Mes petits-enfants et ma femme…
Quand sur le tournant de minuit,
J’arrive et je trouve l’infâme
Avec un homme dans son lit !… »

« Votre cas est élémentaire,
- Interrompit l’homme de loi, -
C’est un bon constat d’adultère
Que vous voulez , comptez sur moi !
Et vous ? s’adressant au deuxième,
Quel est votre présent souci ? »
« Hélas ! Mon malheur est le même,
Mon épouse me trompe aussi ! »


« C’est comme moi, fit le troisième,
Ma femme en tient pour mon voisin. »
« La mienne, dit le quatrième,
Est partie avec son cousin. »
« Nous vîmes bourlinguer les nôtres
Dans la forêt de Saint-Germain,
- Reprirent en chœur les deux autres -
Nous pouvons nous donner la main. »

« Hé, messieurs ! dit le commissaire,
Parbleu ! Vous allez voir bientôt
Que tous les cocus de la terre
Vont se trouver dans mon bureau.
A moins, qu’en votre humeur badine,
Vous vouliez me faire poser…
Mais, pardon, c’est l’heure où je dîne,
Messieurs, vous voudrez bien m’en excuser… »

Voici que, sur ces entrefaites,
Arrive un septième mari,
(On eût dit pour corser la fête)
« Ah ! non, lui dit-il, mon chéri,
Si vous n’êtes pas Théramène.
Épargnez-moi votre récit ;
Car je sais ce qui vous amène :
Vous êtes cocu, vous aussi !… »



« Pardon ! Monsieur le commissaire,
Je ne suis pas cocu du tout ;
Je suis un vieux célibataire.
Et puis, soyez poli, surtout.
Je vous dirai sans métaphore
L’objet de mon présent tracas.
Mais quoi ! Je n’ai rien dit encore,
Ne préjugez pas de mon cas. »

« Ne vous mettez pas en colère…
Croyez, qu’en vous disant cela,
Je n’ai pas voulu vous déplaire.
Tenez, ces messieurs que voilà
Sont cocus, c’est tout un poème.
Et je puis vous dire tout bas
Que je crois bien l’être moi-même.
Cela ne m’étonnerait pas. »


RAOUL PONCHON
Le Journal
20 août 1906
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ill. Wely

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