10 oct. 2007

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PARIS
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Que l'on soit Juif ou Bulgare,
Qu'on vienne, sans crier gare,
Des pays les moins compris,
Il faudrait être malade,
Oie ainsi qu'une pintade,
Tout au moins de parti pris,
Pour n'avouer pas qu'en somme
De toutes celles qu'on nomme,
La seule ville est Paris !

Grenade a l'Alhambra ; Nantes a ses sardines ;
Bruxelle a Castelega et puis ses citadines ;
Naples a son Vésuve et Genève son lac ;
Tours ne mange son pain qu'avecque ses rillettes,
Troyes avec ses andouillettes
Qui, comme chacun sait, ne sont pas dans un sac.

Caen a ses tripes ; Cologne
Son eau Farina ; Bologne
Sa mortadelle, et Lyon
Peut vanter à juste titre
Ce fier éperon au litre -
Son saucisson de Lyon ;

Si vous désirez connaître
La ville qui m'a vu naître :
C'est toi, la Roche-sur-Yon !

Rouen a son préfet qu'au Havre l'on envie ;
Cognac réveille un mort avec son eau-de-vie ;

Et si Constantinople enferme ses sultanes,
Perpignan en revanche étale ses Platanes ;
C'est à Poitiers qu'on doit Sapeck !

Berlin, que je me propose
D'aller voir avant nivôse,
A son empereur caduc ;
On trouve dans Batignolles
Quelques belles Espagnoles ;
Auteuil a son viaduc ;
Metz n'est pas beau, mais je l'aime ;
A la rigueur Angoulème
Peut nous parler de son duc.

Madrid dîne souvent d'un air de castagnettes ;
Béziers montre aux Anglais son Plateau des Poètes ;
Toulon a des attraits pour un galérien ;
Et Bourg, où j'ai passé mon enfance morose,
Evidemment n'a pas grand'chose...
Mais il vaut toujours mieux qu'un pays qui n'a rien !

Orléans a son vinaigre ;
On rencontre plus d'un nègre
Dans Alger, même au printemps ;
De son château Renaissance
Blois se prévaut, et Byzance
Est mort depuis longtemps ;
A Rio coule un pactole ;
Toulouse a son Capitole,
Et Bordeaux ses habitants.

Epinal pour nous plaire agite ses images,
Et Camembert fait vivre un instant ses fromages ;
Brest est fier de son port, de sa rade Cherbourg ;
Laon poignarde le ciel, et l'on craint pour la lune
A voir perdue en l'air, à hauteur peu commune,
La cathédrale de Strasbourg.
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Toutes ces villes superbes
Sont comme d'énormes gerbes
D'édifices, de maisons ;
Toutes ont des citadelles
Et des clochers en dentelles,
Ou tout au moins des prisons ;
Toutes méritent la pomme,
Je ne dis pas, mais, en somme,
C'est Paris que nous prisons.

Paris, Paris, Paris ! moderne Babylone,
Avec Napoléon en plus, sur sa colonne ;
Paris, le rendez-vous des Grecs, des Esquimaux,
Où l'on entend les plus volapuques syllabes,
Où broutent, plus nombreux qu'en les pays arabes,
De plus faméliques chameaux.

Paris a des tours très hautes ;
Mais que diront donc ses hôtes

Lorsque sur sa tour, Eiffel
Sur la multitude obscure
Jettera, d'une main sûre,
Des Pastilles Géraudel ?
- Ah ! pourquoi si haut prétendre ?
Vous n'êtes qu'un peu de cendre
Dans mes mains, dit l'Eternel !

Il n'est rien de plus beau parmi ce qu'on répute :
Soit que je veuille aller rigoler sur la Butte
Où la Goulue hier savamment gambillait,
Soit que je veuille encor, du haut de mes croisées,
Regarder les Champs Elysées
S'illuminer le soir du Quatorze Juillet.

Paris est rempli de marbres,
Et Paris compte autant d'arbres
Que la forêt de Bondy ;
Il a toujours les mains prêtes,
Sans cesse il donne des fêtes
Pour l'infortuné Midi ;
Et s'il se rince l'oreille,
C'est avec cette merveille :
La musique du Mahdi.

Paris l'emporte autant, dans sa grâce suprême,
Sur les autres cités, qu'un géant sur moi-même ;
Paris plus que toute autre ville a des voleurs ;
Et l'égout collecteur y répand son haleine
Comme au printemps béni le soleil sur la plaine
Répand un déluge de fleurs.

Athènes est sa marraine ;
Les Prussiens sur cette reine
Frottent leurs muffles hideux,
Mais Paris, ô Charlemagne !
Les emmène à la campagne ;
Paris se fout pas mal d'eux ;
Cette ville sans pareille
Serait un autre Marseille
S'il en pouvait être deux !


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
6 mars 1887


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