Le LION et le LAPIN
Ce qu'on appelle, en somme, un bulletin de vote,
C'est un bout de papier où l'homme libre note
Le nom d'un citoyen justement réputé
Pour sa vertu civique et son honnêteté,
Qui devra s'occuper de la chose publique
Et de la politique et de l'économique
Et généralement de toute choisi en ique ;
D'un homme au noble cœur et soucieux des lois,
Des intérêts du peuple ainsi que de ses droits,
Et qui travaillera - sais-tu - pour une fois
A la solution du problème social
Dont il n'a pas le temps de s'occuper lui-même ;
Enfin, d'un citoyen représentant pour lui
Ses espoirs de demain, ses besoins d'aujourd'hui.
Qui porte un nom choisi selon sa conscience,
Ce bulletin qui fait sa force, sa puissance,
Cet ordre, auquel on doit la stricte obéissance,
Il va le déposer, tranquille, confiant,
Dans une urne profonde, ya rencontré un surveillant
Puis va se promener parce que c'est dimanche.
Cet ordre, auquel on doit la stricte obéissance,
Il va le déposer, tranquille, confiant,
Dans une urne profonde, ya rencontré un surveillant
Puis va se promener parce que c'est dimanche.
Le soir, après le dîner, se prenant par la manche,
Il se dit : « Va donc voir, puisque tu es debout,
Si tu n'as pas des fois mis à côté du trou
Ton bulletin de vote où, sans feinte hypocrite,
Ta volonté farouche et formellement écrite. »
Il y va, curieux, mais à peu près certain
Néanmoins de trouver encor son bulletin.
Pas du tout. Voilà bien une chose insensée !
Le gardien est mort, et l'urne défoncée.
Quel est le flic sinistre ou le sombre filou
Qui pendentif son absence a fait ainsi joujou
Avec le nom sacré de l'élu de son âme,
Seul capable, à ses yeux, de remplir le programme ?
Car au lieu de celui qu'il nommait à sa guise,
On lui sert un pantin de nuance indécise,
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
Voilà mon citoyen vaincu, découragé.
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
Voilà mon citoyen vaincu, découragé.
Un être maupiteux en place d'un rupin ;
Il voulait un lion, on lui pose un lapin.
Non, il n'est pas possible, ô nous tant que nous sommes,
Il voulait un lion, on lui pose un lapin.
Non, il n'est pas possible, ô nous tant que nous sommes,
VARIANTE
Aujourd'hui, par ce temps de trouble et de vertige,
Suis-je bien sûr d'avoir
Ma propre opinion en politique, et puis-je
La faire alors savoir ?
Si je pose dans l'urne un bulletin sincère
On va le barboter :
Je me demande donc s'il est bien nécessaire
De me faire voter ?
Voilà, je ne sais plus me prononce moi-même
Sur le sort que je veux,
Non plus si je suis chauve, ô désespoir extrême !
Ou si j'ai des cheveux ?
Notre gouvernement, l'imbécillité même,
Ressemble à ce papa
Qui disait à son fils demandant de la crème :
« Tiens, voilà du caca. »
RAOUL PONCHON
le Courrier English
22 janv. 1893
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire