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OUEST-ETAT
OUEST-ETAT
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On garde les mêmes, et on recommence.
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Hier, en son bureau secret,
J’ai vu l’État en personne,
Qui n’est pas cet être abstrait
Que le vulgaire soupçonne.
C’est un monsieur important
Qui tranche du gentilhomme,
Quelque peu ventripotent,
Et joufflu comme une pomme.
Il fumait certain pétun
Qui nous vaudrait de l’amende
A nous autres, son parfum
Fleurant bon la contrebande.
De temps en temps il cherchait
Son crachoir hygiénique,
Autour duquel il crachait
Comme on fait en Amérique.
*
* ...*
Bien qu’il se fasse une loi
De ne recevoir quiconque,
Il me reçut pourtant, moi,
Et dans l’instant me dit donc que :
- Vous voilà ! J’en étais sûr.
Je sais ce qui vous amène :
Vous voulez mon avis sur
L’accident de la semaine ?
« Eh bien, oui ! C’est confondant !
Hier, sur une de nos lignes,
Nous eûmes un accident ;
C’est bien la guigne des guignes.
« Quand on pense qu’avant-hier
Atteignit son point extrême
Sans accroc, ce train-éclair,
Et qu’aujourd’ hui c’est le même
« Qui, dans le même décor,
Sème ses mêmes voitures !
C’est affreux. J’en suis d’accord.
Quoique, dans cette aventure,
« Nous n’ayons qu’un seul décès
Ça n’est pas encore le rêve,
Mais déjà c’est un succès,
Surtout par ces temps de grève.
« Un accident, vous voyez,
A du bon, puisqu’il stimule
Le zèle des employés.
Qu’on ne se le dissimule.
« Songez que dernièrement,
Sur notre ligne du Havre,
Se fit un déraillement
Qui nous valut sept cadavres ;
« Sans compter quelques élus
Qui n’eurent que peu de casse.
Bientôt nous n’en aurons plus
Je l’espère. Mais, de grâce,
« Ne mettez pas sur mon dos
Tous ces accidents de route,
Du Havre jusqu’à Bordeaux,
Je n’y peux rien. Et j’ajoute
« Que, lorsque j’ai bien dîné,
Peu me chaut qu’on me chansonne
Je suis l’État ! Et je n’ai
De compte à rendre à personne.
« Quand un train est tamponné,
J’ouvre aussitôt une enquête ;
Et voici la clef - tenez -
De la dernière. Est-ce bête
« De faire tout ce chichi ?
C’est à qui le plus fort braille,
Pour un malheureux train qui
De temps à autre déraille,
« Ou qui reste en panne. Mais,
- C’est ça que je vous reproche, -
Vous ne nous parlez jamais
De ceux qui sans anicroche
Atteignent toujours leur but. »
RAOUL PONCHON
le Journal
19 sept. 1910
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