MARCHÉ D'IVROGNES
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La Terre est faite pour tourner
Puisqu’elle tourne ;
Le maquereau pour arriver
Puisqu’il arrive.
As-tu jamais vu un ivrogne
Dire : j’ai trop bu.
Tu me verrais plutôt moi-même
Boire de l’eau.
Entends-tu mes cheveux qui frisent
Dessus mon front ?
Entends-tu aussi dans ma bourse
Hurler le diable ?
Va, tu ne peux rester en place,
Puisque tout marche ;
Si tu n’as pas de pieds, peut-être
As-tu des mains ?
Si tu n’as pas de mains non plus
Va te promener ;
Tu vois que de toute manière
Il faut aller.
Tu ne t’arrêteras, te dis-je,
Que pour mourir ;
Même tu bougeras encore
Dans ton tombeau.
Quand tu mets dans une bouteille
Des hannetons,
Les canards viennent la pousser
Avec leur bec.
Certes, si tu tombes toujours
Au même endroit,
Tu finiras par faire un trou
Pour l’enterrer.
Mieux vaut être mort que pas né,
Vivant que mort :
Quand on est vivant l’on va boire
Car on a soif.
On a soif, et voilà pourquoi
La Providence
A pris soin de mettre partout
Des ’chands de vins.
Le plus beau geste de la terre
Est de porter
Un verre de vin à ses lèvres :
Chacun sait ça.
Cours, le nuage ne s’arrête
Que pour pleuvoir.
Ivrogne, que si tu t’arrêtes
Ce soit pour boire.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
29 janv. 1888
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