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IL
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Un beau jour, Il passait, allant au Capitole,
Il était souriant, selon le protocole,
Et son peuple disait : n’y a qu’Lui !
Un Hanotaux, soudain, fendant la foule immense,
Se jeta sur son char, saisit Il par une anse,
Et lui tint le crachoir qui suit :
« Il, président de la République Française,
Toi qui l’emportes sur le feu roi Louis seize
D’une tête, écoute-moi bien,
Ombre de Nicolas qui de Guillaume est l’ombre,
Tâche à loger dans ta cervelle de concombre
Qu’en fin de compte tu n’es rien.
« Certes, jusqu’à présent ta part est des plus belles :
Tu tannas des Français les peaux les plus rebelles,
Tu es leur César et leur dieu :
Cependant, pour ainsi dompter les multitudes
Tu n’as pas comme moi fait de fortes études,
Chez le cardinal de Richelieu.
« Tu fais assurément, en ta royale sphère,
Très bien ce que tu fais mais tu ne sais rien faire ;
Tu ne peux, d’ailleurs, qu’y gagner :
Tu signas de ton nom le traité d’alliance
Mais s’il n’avait été conçu par ma science
Il serait encore à signer.
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« A Cronstadt, Pétersbourg ta conduite fut digne.
Constamment à cheval sur ton âpre consigne,
Ton tact fit le meilleur effet
Sur les pauvres moujiks ; tes toasts furent d’un maître ;
Il ne pouvait d’ailleurs, différemment en être,
Puisque c’est moi qui les ai faits.
« Ainsi voilà trois ans que tu cours les provinces,
Tapant dans l’œil aux rois et sur le ventre aux princes
De l’Orient, de l’Occident ;
Tu as ce grand honneur d’ouïr sans interprète
Chulalongkorn qui rote ou Li-Hung-Chang qui pète,
Quand vient l’heure du cure-dent.
« Tu reçois des cadeaux, des honneurs, des médailles.
On dirait que tu viens de gagner des batailles,
Si l’on en croyait tes copains,
Chaque fois qu’aux tirés de Marly, de Rambouille,
Tu mets en marmelade avec telle autre andouille
Comme toi, deux… trois cents lapins.
« Mais ton jour vient. Il faut que tu cèdes ta place.
La môme Couesdon a rimé ta disgrâce ;
Elle a même ajouté ceci :
C’est pas toujours les même s qu’aura l’assiette au beurre.
Peux-tu reconquérir l’Alsace en moins d’une heure ?…
Non ?… Eh bien, bonsoir et merci.
« Tu partiras, n’étant nécessaire, n’unique ;
Et cela, bien avant que l’Opéra-Comique
Meure de recombustion,
Ce qui ne peut tarder, puisque on le dé clôture :
Que dis-je ? Bien avant qu’on fasse l’ouverture
De la grrrande Exposition. »
Or, Il avait sur lui son bon fusil de chasse,
Le même avec lequel à Rambouille il fracasse
Et les lapins et les perdreaux.
Il eût pu, n’est-ce pas, tout aussi bien occire
Ce fou ? Non, ce crachoir terminé, notre sire
Donna son sourire à Notaux.
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RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
10 oct. 1897
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