J'ESPERE QU'IL VA NEIGER
Voilà maintenant qu'il fait beau !
( Du moins aujourd'hui ) c'est horrible.
En janvier ! c'est inadmissible.
Du haut de ton ciel bleu barbeau
Encore une fois tu nous trompes,
Seigneur, et pour quelles raisons ?
Sur la couleur de tes saisons.
Tu te fiches trop de nos trompes.
Que si l'hiver n'est plus l'hiver,
Il n'y a de saison aucune
Pour qu'en la saison opportune
Ton sacré printemps vert soit vert,
Ton été d'or, pour que l'automne
Arrive lui-même à propos
Remplir nos tonnes et nos pots.
Nous en préserve la Madone !
Il ne fait pas froid, par dessus
Le marché, que veut cela dire ?
Au lieu de geler je transpire
Et me meurs sous mon pardessus.
" Parbleu, tu n'as qu'à n'en pas mettre,
- Me diras-tu - pauvre insensé ! "
Eh, certes ! j'y ai bien pensé,
Mais je suis esclave, cher maître,
Et dupe du calendrier,
Il fut fait d'après tes principes ;
J'y crois comme aux patates tripes
Et comme au premier moutardier.
Il dit : c'est le mois de la neige
Et des autans et des frimas
Sous nos parisiens climats,
C'est l'hiver et son blanc cortège.
Alors moi dont l'esprit manchot
N'y voit autrement de malice,
Je sors ma plus riche pelisse,
Et, finalement... j'ai trop chaud.
Car ce nivôse est invisible,
Il n'y a pas sur mon chemin
Plus de neige que sur ma main ;
En vérité c'est plus risible.
J'avais pourtant pour en parler
Mis de côté pour ces dimanches
Tout un essaim de rimes blanches
Ne demandant qu'à s'envoler.
Il faut donc que je les ravale.
Et d'autres il me faut chercher,
Et encore me dépêcher...
Le temps si vite se cavale !
Arriverai-je seulement
A terminer cette gazette ?
Delorme, moins que moi mazette,
Concluez-la dans un moment.
Oui, Hugues, venez à mon aide.
Comme il est ici coutumier
Que je rime - pourquoi ? - premier,
Cette place je vous la cède ;
Et, d'autant plus résolument,
Que je crois bien que mon grand âge
Seul me vaut un tel avantage :
Triste privilège, vraiment.
Donc demain, c'est dit, à l'absinthe,
Vous ajouterez quelque tex-
te à celui-ci, si j'ose m'ex-
primer ainsi dans cette enceinte.
Comment allez-vous, à part ça ?
Moi, pas mal, je vous remercie.
Surtout soignez votre vessie,
Espèce de Sancho Pança !
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
09.01.1898
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