18 sept. 2010

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VINS EXOTIQUES
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... Monsieur Grégoire,
Puisque le vin vous fait ainsi broncher
A chaque pas, vous avez tort de boire...
- Non, mon ami, mais j'ai tort de marcher.


Si vous voulez m'en croire,
Je fus l'autre matin
A notre Grande Foire
Avec mon tâte-vin,

Pour déguster sur place
- Je m'en fais une loi -
L'exotique vinasse.
Toujours, auprès de moi,

Le côté vinicole
D'une Exposition
A joui d'une folle
Considération.

Il est deux hémistiches
Chez moi perpétués :
Dis-moi ce que tu liches,
Je dirai qui tu es.

Or donc, avec mon tâte-
Vin, le long des trottoirs
Je parcourus sans hâte,
Les différents comptoirs

De ces nations dignes
- Y vompris le Tatar -
Qui cultivent la Vigne,
Disons : à notre instar.


*
* *


J'ai bu du vin de Grèce ;
Du Chio... du Samos...
Si c'est là cette altesse
Dont a gratté le dos,

Sur sa lyre un peu grise,
Le môme Anacréon,
Autant vaut qu'on se grise
D'une ode à l'Odéon.

J'ai bu sans frénésie
De l'Amontillado
Et de la Malvoisie...
Orosolo, Porto...

Tous vins que je récuse
Pour porter mon hanap.
J'ai bu du Syracuse,
Et du Chypre, et du Cap...

J'ai bu de ce Vésuve
Dit " Lacryma Christi ".
Oh ! qu'âpre je le "truve",
Malgré son nom, cristi !


J'ai bu du vin de Perse...
Schiraz... Dodrelabi...
Tu n'auras plus commerce
Avec lui, mon bibi.

- Sans doute, au temps du maître,
Notre divin Khèyam,
Ce vin-là devait être
Un tout autre quidam. -

Au comptoir d'Australie,
J'ai bu du Tintara ;
A celui d'Italie,
Du Chianti... Barbera...


Un autre plus barbare
Encore, un Lampurdam
Qui - chose assez bizarre -
Arrivait d'Amsterdam.

Tous ces vins de cuisine
Sentaient de parti pris,
Les campêche et fuchsine
Dont ils furent nourris.

J'ai bu dans l'Allemagne
Du Jesuitengarten :
Sans être de Cocagne,
Il souffre l'examen,

Encor qu'il m'importune
Et me semble vermeil
Plutôt comme la Lune
Que comme le Soleil.

J'ai bu certain Madère
Non des plus absolus,
Puisque je considère
Qu'on n'en fabrique plus.

J'ai bu du vin de Corse
Dit "Aleatico" ;
Malgré sa rude écorce
Il est frais, le coco.

Et puis du vin de Suisse...
De l'Yvorne clairet :
S'il manque un peu de cuisse,
Il a quelque jarret.


J'aurais sans aucun doute
Goûté de ce Tokai
Qui vaut cent francs la goutte,
Si j'eusse été toqué...

L'Empereur, sur sa caisse,
De ce vin qui n'est qu'or
M'a promis une caisse,
Mais je l'attends encor...

Je ne sais quel vin serbe
M'a paru sans éclat,
La rime veut : "acerbe",
La raison : "raplaplat".

Ce n'est pas une "espèce",
Bien sûr, que je boirai,
En célébrant la messe,
Quand je serai curé...


*
* *


Mais ici je vous quitte,
J'ai les boyaux fourbus...
Quel que soit le mérite
De ces vins que j'ai bus.

Et, soit dit sans reproches
Pour nos amis voisins -
Les vins même bancroches
Du nôtre étant cousins -

Il n'est vin que de France !
Sous notre ciel clément
C'est là ses demeurance,
Fin et commencement.


RAOUL PONCHON
le Journal
4 juin 1900






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