1 oct. 2007

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Le lendemain
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Dis-moi ce que tu manges,
Je te dirai ce que c’est.



Quand ils jugent le temps superbe,
Ouvriers et petits bourgeois
Afin de déjeuner sur l’herbe
Vont, le dimanche, dans les bois.

Viroflay, Meudon ou Chaville,
Même, à Boulogne, dans ton bois,
Pourvu qu’ils soient hors de la Ville,
Ils n’ont préférence ni choix.

Ils emportent leurs victuailles
Dans des papiers, dans des paniers,
Des litres et des cochonnailles
Poulets et gigots familiers…

Le père gourmande la mère
Et les enfants : « Allons tôt, tôt.
Que diable ! Vous allez nous faire
Manquer le tram ou le bateau. »

Enfin on part et l’on arrive.
On choisit le meilleur endroit,
Et, sans plus user de salive,
On découpe le gigot froid…


Bientôt dans le décor champêtre,
Tous les dix mètres à peu près,
Viennent d’autres familles paître
Qui se ressemblent traits pour traits.

Alors sous la molle verdure
Les mâchoires sont en travail,
Et l’on perçoit que la nature
A comme un léger parfum d’ail.

C’est inouï, tu te crois être
Au temps heureux de l’âge d’or
Où n’avaient nos pauvres ancêtres
Point de salle à manger encor.

* *

Mais le lendemain, ô merveille !
Si vous recevez par hasard
Dans ce décor si beau la veille
Vous en demeurez tout hagard.

C’est une infamie, une ordure,
On se demande quels cochons
Vous ont transformé la nature
Pour ainsi parler en torchon.

Les arbres sont mis au pillage,
On dirait véritablement
Qu’il a passé là quelque orage
Avecque tout son tremblement.


L’herbe drue encore hier, semble
Avoir été broutée à ras
Et remplacée en son ensemble
Par d’innombrables papiers gras.

Ce ne sont partout qu’épluchures,
Os rongés et verres cassés…
Que dis-je ? brans et vomissures
Sans doute pour engrais laissés.

C’est dégoûtant, c’est malhonnête…
Si bien que ces bis glorieux
Après cette petite fête
Ne sont plus guère que des lieux.

Enfin, puisqu’il faut tout vous dire,
Au lieu d’une salle à manger
Pleine de joie et de délire,
C’est une salle à vidanger.


RAOUL PONCHON
Courrier Français
09. 06. 1901
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