12 oct. 2007

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LE PETOMANE
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Or, un jour, d'homme un pauvre diable
Se trouvant d'hôte à une table
Fit un pet énorme, effroyable,

Mais là, vous savez, un pet tel
Qu'il ne semblait pas d'un mortel,
Et qu'il fit trembler tout l'hôtel,

Tant, qu'on eût dit ce pet d'ermite
L'explosion d'une marmite
De mélinite ou dynamite.

Notre homme alors de se baisser
Comme s'il voulait ramasser
Le pet qu'il venait de lancer.

Tandis les gens à se remetre
Dès qu'ils apprirent à connaître
D'où ce bruit avait bien pu naître,

Sous la table notre chinois
S'était tiré des pieds, sournois,
En tapipi, en tapinois,


Et comme un que le diable emporte
Il avait jà franchi la porte
Se faisant plus plat qu'un cloporte.

Et dès le lendemain sur lui,
Tellement vite il avait fui,
Un autre soleil avait lui.

Il alla dans quelque autre Amérique
Ou autre pays chimérique
Promener son pet homérique.

" Vois la misère où tu me mets,
O honte ! ne plus voir jamais
Mon tant doux pays que j'aimais !

" - Disait-il - ma vie est cassée :
La chose, hélas ! s'étant passée
Devant ma chaste fiancée.

" Voudrait-elle me voir ? oh non !
Je suis sûr que déjà mon nom
Pour elle c'est Agamemnon...
"


*
* *

Il voyagea bien des années ;
Semblaient être ses destinées
D'un entrepreneur de tournées.

Il eut des hauts, il eut des bas,
Il eut de l'argent dans ses bas
Comme des fois il n'en eut pas.

Il joua. Il prit des maîtresses
Tantôt blanches, tantôt négresses
Mais resta nul sous leurs caresses ;

Car au moment victorieux,
Quand il croyait toucher aux cieux,
Il avait son pet sous les yeux.

Et partout, quoique dans l'espace
Il allât, tel un vent qui passe
Il voyait ce pet face à face ;

On eut dit son propre reflet.
D'autres fois, il le trembalait
Derrière lui comme un boulet.

Après vingt ans de cette vie
Odieusement asservie
Il n'eut plus au coeur qu'une envie :

Comme il se sentait dépérir
A de la sorte ainsi courir,
Il voulut avant de mourir

Revoir le ciel de sa patrie
Et puis sa petite chérie.
" S'il plaît à la Vierge Marie !...

" Sans doute - pensait-il - là-bas
Ils auront oublié mon cas
Ou bien ne me remettront pas.

" D'ailleurs, tant pis ! qu'on me lapide ! "
Aussitôt dit, notre intrépide
Revint chez lui par le rapide.


*
* *

A peine avait-il débarqué
Qu'il a déjà tout remarqué,
Tout allumé, tout reluqué.

...L'école à gauche... ici; l'église...
Tout près de là se trouve sise
La chambrette de sa promise...


Mais quelque chose le troubla...
C'est un pont qui n'était pas là
En l'année ousqu'il s'exila.

Lors, avisant sur une route
Un cantonnier cassant sa croûte,
Il lui dit : " Cantonnier, écoute,

" Apprends-moi le nom de ce pont ? "
Le cantonnier lui répond :
" C'est le pont du Pet, mon fiston. "

" - Quoi ! - Que le diable vous emporte !
D'où venez-vous ? ...Enfin, n'importe !
Si l'on le nomme de la sorte,

" C'est à cause qu'il fut construit
Le même an ou l'auteur s'enfuit
De ce pet qui fit tant de bruit. "


Notre homme alors, à ce langage,
Repris sa malle et son courage
Et son sempiternel voyage.

On l'entendit se répéter :
" Si je ne suis bon qu'à péter :
Je vais donc péter et ...péter. "

Il arriva, si l'on peut dire,
A péter comme l'on respire,
Comme Sardou fait du Shakespeare.

Pour être harmonieux,
Il ne mangeait que farineux
Rapport aux gaz qui sont en eux.

Il put bientôt, de façon nette
Imiter harpe et clarinette,
Aussi la voix la plus honnête.

A vocalise tout le temps,
Il fit des progrès épatants.
Ca lui demanda un printemps :

Avant même l'année entière,
Sachez qu'il chantait la prière
De Moïse avec son derrière.

Si bien qu'il se dit : " Tiens, tiens, tiens !
Ne pourrai-je par ces moyens
Em...bêter mes concitoyens... ? "


*
* *

Bientôt, au son de la trompette
Il fit clamer : " L'homme qui pête,
Est ici, qu'on se le répère !

Cet homme peut à volonté
Péter, puer en socièté,
Et cela l'hiver comme été. "

Chacun voulut voir ce prodige
Et toute la ville, vous dis-je,
Fut comme prise de vertige !


*
* *

Et voila que cet indigent
Qui croyait em...bêter les gens
Gagne en pétant beaucoup d'argent.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
05 juin 1892


1 commentaire:

Unknown a dit…

Bonjour,
Où avez-vous trouvé ce poème ?
Bien à vous